En Inde, ce 30 août (2022) est célébrée Ganesh Chaturthi qui commémore la naissance du dieu éléphant (pas Babar, l’autre ! 😉 ).
L’occasion rêvée de découvrir toute la symbolique incarnée par cette divinité hindoue qui est sans doute la plus populaire à travers le Monde, allant souvent même jusqu’à voler la vedette à son propre père, Shiva.
Voilà qui est intéressant lorsque l’on sait que, sans le geste malheureux de ce dernier, le « dieu à tête d’éléphant » n’aurait sans doute jamais connu une telle célébrité…
« Qu’on lui coupe la tête ! »… Voici comment Ganesh passa de l’état d’impureté à l’état de divinité…
Alors qu’elle participait à une célébration avec son époux Shiva, la déesse Parvati profita pleinement de l’énergie frivole et de tous les plaisirs que cette fête lui offrait… jusqu’au moment où elle s’aperçut qu’elle s’était tachée.
Réalisant cela, elle souhaita s’éloigner pour pouvoir aller se laver. Et avec la saleté qu’elle retirait de son corps, elle engendra un fils.
Décidant alors de prendre un bain pour achever de se nettoyer, elle confia à ce dernier la responsabilité de monter la garde afin de ne pas être surprise et dérangée dans ses ablutions. Le garçon, dévoué à sa mère, tint si bien son rôle qu’il n’autorisa pas Shiva à entrer.
Ne reconnaissant pas son propre fils, fou de rage qu’un intrus puisse ainsi faire obstacle entre son épouse et lui, Shiva lui trancha aussitôt la tête à l’aide d’un rayon jailli de son troisième œil.
Bouleversée en découvrant le massacre, Parvati supplia alors son mari de rendre la vie à ce garçon qu’il venait de décapiter et qui n’était autre que leur propre fils.
Soucieux de réparer sa méprise, Shiva ordonna alors à ses serviteurs de ramener la tête du premier être vivant endormi qu’ils trouveraient dans la forêt.
Les serviteurs obéirent et ils revinrent victorieux.
C’est ainsi que Ganesh reprit vie, le corps surmonté… d’une tête d’éléphant.
L’histoire de la création de Ganesh a ceci de fabuleux qu’elle permet d’illustrer le processus de double naissance par lequel nous sommes tous amenés à passer : notre naissance matérielle lorsque notre corps de chair apparaît sur Terre ; puis, notre naissance spirituelle lorsque, par la dissolution de notre ignorance, notre Conscience s’éveille enfin à notre véritable nature, nous révélant ainsi le sens de notre existence.
Dans un premier temps, la déesse Parvati représente bien cette mutation dans la mesure où elle parvient à renaître pure en se libérant de l’ivresse des sens qui affecte son corps. Durant la fête, dominée par ses passions, elle « ne sait pas ce qu’elle fait » jusqu’à ce qu’elle réussisse à sortir de l’ignorance grâce à la prise de conscience de son impureté (lorsqu’elle s’aperçoit de la saleté dont son corps est maculé). Ne trouvant plus de sens à la superficialité de la fête, elle décide alors de se purifier et, tel un acte de contrition, elle convertit les traces de son impureté en un fils, symbole même de l’innocence.
Tels Adam et Eve éprouvant pour la première fois le sentiment de honte d’être nus après avoir goûté au fruit de l’Arbre de la Connaissance, Parvati demande à son fils de monter la garde afin que personne ne la surprenne affairée à nettoyer sur son corps nu les dernières preuves de son impureté. On peut en déduire qu’elle souhaite ainsi effacer les souillures de son ignorance sans même que dieu (à savoir, son époux Shiva) s’aperçoive de son imperfection. Mais dieu sait tout… et même le fils de dieu, dont l’incarnation est humaine, ne peut faire obstacle à l’omniscience de son père tout-puissant…
Cette toute-puissance divine est d’ailleurs représentée par le plein pouvoir de Shiva qui est à la fois de donner la vie (puisqu’il est le père), de retirer la vie quelle qu’elle soit (puisqu’il coupe la tête de son propre fils) et de rescussiter (lorsqu’il redonne vie à Ganesh avec une tête d’éléphant).
Dans un second temps, ce processus de double naissance est évidemment formidablement bien symbolisé par Ganesh lui-même.
D’abord né en quelque sorte du « péché » (la saleté et l’impureté générées par l’énergie rajasique de la fête), Ganesh n’est encore rien d’autre que le fruit reconverti des traces de l’ignorance de sa mère.
Et en lui coupant la tête à l’aide de son troisième œil qui représente la Conscience supérieure, Shiva va permettre à Ganesh de renaître afin d’accéder à la divinité. (cf. article suivant : Faut-il se couper la tête pour entrer tout entier dans la spiritualité ?)
N’oublions pas que dans le mythologie hindoue, Shiva est le dieu destructeur : celui qui anéantit afin de rétablir le bon ordre du Monde. On peut donc comprendre la décapitation de Ganesh comme une étape essentielle à l’Univers. C’est par cet acte sanglant que Shiva offre à ce garçon le don de passer de l’incarnation humaine à l’incarnation divine.
Sans cela, Ganesh serait resté pour Parvati le souvenir de son impureté et de son ignorance passées.
Grâce à cela, Ganesh est devenu le symbole du triomphe de la Connaissance.
En effet, Shiva trancha la tête de Ganesh car il ne l’avait pas reconnu comme étant son fils. C’est seulement parce que Parvati lui donne accès à la Connaissance (« il s’agit de notre fils ») que Shiva peut le reconnaître et permettre qu’il soit sauvé.
Le fait qu’une tête d’éléphant ait été trouvée en premier pour remplacer la tête humaine de Ganesh consolide cette signification symbolique. La tête humaine représente en fait la versatilité du mental tissé d’ignorance et d’obscurité : on reconnaît cela dans le fait que le garçon obéisse aveuglement et « bêtement » à sa mère plutôt que céder le passage à dieu, son père. Au fond, en débarrassant son fils de l’encombrement de sa tête, Shiva lui fait un cadeau inestimable.
Dans les représentations hindoues, l’éléphant personnifie la sagesse et l’intelligence, il est celui qui favorise la substitution des ténèbres de l’ignorance par la lumière de la Connaissance, permettant ainsi de lever les obstacles à la juste expression de Soi.
Car les obstacles n’empêchent en rien l’avancée de l’éléphant : en les enjambant ou en les contournant, il n’est ainsi pas arrêté par eux dans sa progression, quand bien même celle-ci peut être lente et éreintante. Il cultive simplement patience et confiance dans le chemin sur lequel il est engagé, accueillant l’obstacle ou l’épreuve juste comme une étape à traverser sur celui-ci et qui, dans tous les cas, participe au succès, ce dernier n’étant pas forcément la réussite à laquelle on s’attendrait.
Lorsqu’il empêcha Shiva d’approcher Parvati, Ganesh ne fût-il pas lui-même un obstacle entre le couple divin, au point d’être décapité ? Mais c’est grâce à cette étape a priori tragique qu’il pût devenir la divinité que l’on connaît et que l’on célèbre partout en Inde et dans le Monde.
L’obstacle ou l’épreuve qui s’interpose en se mettant sur notre chemin est en réalité l’opportunité de nous offrir un temps de réflexion nécessaire : « Est-ce là vers où je veux aller ? Est-ce vraiment ce pour quoi je suis fait ? ».
Si oui, mettre tout en œuvre pour surmonter l’obstacle nous permet de prendre conscience de ce qui nous tient réellement à cœur. Cela nous donne la force, la foi et les moyens d’accomplir ce que nous avons à faire et de devenir la personne que nous sommes.
Si non et si nous persistons malgré tout à suivre la même latitude et à maintenir la même attitude pourtant inadéquates pour nous, alors d’autres obstacles et d’autres épreuves se présenteront à nous de manière de plus en plus insistante jusqu’à ce que nous comprenions le message que ces embûches ont à nous délivrer : « Il est temps de changer ! ».
L’obstacle et l’épreuve sont donc à accueillir avec bienveillance comme une bienfaisante invitation à l’introspection et au discernement.
Ainsi, si Ganesh est vénéré comme celui qui lève et soulève les obstacles (voir aussi ici : Incarner Ganesh, corps et âme… (vidéo) ), ce n’est pas dans l’espoir de nous rendre la vie plus facile et plus tranquille (« Reposons-nous donc sur ce bon vieux Ganesh, il va bien écarter les obstacles pour nous ! » 🙂 ). Non. C’est à nous-mêmes de tirer de ces obstacles tous les enseignements nécessaires à notre progression. Alors, nous incarnons en quelque sorte nous-même la divinité capable de transformer les obstacles sur lesquels nous aurions pu trébucher en tremplins grâce auxquels nous pourrons avancer pour nous élever.
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Photos :
– Peinture murale dans une rue de Mysore, Karnataka, Inde (août 2016)
– Offrandes à Sri Ganesha, Srirangapatna, Karnataka, Inde (août 2014)
A reblogué ceci sur muntsakineyogaet a ajouté:
J’adore Ganesh et j’adore la façon d’écrire de Marie. Découvrez ce dieu à tête d’éléphant
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Merci beaucoup Muntsa ! Je te souhaite une bonne fête de Ganesh Chaturthi et une très heureuse rentrée pleine de beaux partages avec tes élèves.
Namaste
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Merci Marie de partager tes connaissances et ta belle écriture! à mon tour…je partage _/\_
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Merci beaucoup pour cette délicieuse explication ❤🙏❤ évidemment les Dieux nous invitent à reegarder toujours em nous. Namaste chère Soeur ❤
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