« Sois souple et tais-toi. »

Concours de singes en tentative d’Adho Mukha Vrksāsana (posture d’équilibre sur les mains), Shravanabelagola, Karnataka, Inde

Nombreux sont celles et ceux à être persuadés qu’il faut être souple au préalable pour avoir la légitimité de pousser la porte d’un cours de Yoga.
Nombreux sont celles et ceux à ne jamais oser ne serait-ce qu’entrouvrir cette fichue porte, pensant que leur manque de souplesse leur en interdit l’accès.
Au risque d’être provocatrice, je dirais qu’ils n’ont pas tout à fait tort…
Seulement, le manque de souplesse dont il est en fait question ici n’est pas celui de leur corps mais celui de leur esprit.

« Je ne suis pas assez souple pour faire du Yoga ! ». Ah oui ? Et, lorsque vous croyez cela, qu’est-ce qui selon vous n’est pas suffisamment souple ? Votre corps ?… ou votre esprit ?

Même si parfois nous en prenons conscience seulement plus tard, les raisons qui amènent à s’intéresser au Yoga ne sont jamais le fruit du hasard. C’est une véritable démarche. Et commencer à pratiquer le Yoga est un réel engagement. C’est une voix en nous qui nous appelle sur la voie du changement. Mais bien souvent, parce qu’il nous entraîne hors de nos conforts balisés, le changement est perçu comme quelque chose d’inquiétant contre quoi notre esprit peut générer des résistances. Et ce sont tous ces freins qui nous poussent à nous trouver des excuses – plus ou moins valables – pour nous maintenir dans nos conditionnements alors que ces-derniers sont généralement la source de nos souffrances.

Chaque fois que notre esprit nous limite avant même d’entreprendre quoi que ce soit (qu’il s’agisse de la pratique du Yoga ou de toute autre expérience dans notre vie), nous faisons face au manque de flexibilité de notre mental. Méfiance ! Nous ne sommes pas ce que nous croyons que nous sommes. La plupart du temps, nous sommes bien mieux et bien plus que ça ! Mais, insidieusement, dans l’espoir d’économiser notre énergie – parce que devenir le meilleur de nous-même nous en demande – notre esprit nous murmure le contraire.

« Je ne suis pas assez souple pour faire du Yoga ! ». Ah oui ? Et comment pouvez-vous être si sûr de ce que vous êtes (ou pas) avant même d’avoir essayé ?

C’est si définif : la porte se referme sur nous avant même que nous n’ayons envisagé de mettre notre main sur la poignée. C’est s’enfermer dans ce que nous savons déjà et dans ce que nous ne saurons jamais. C’est se condamner à ne jamais apprendre sur nous-même, de nous-même et pour nous-même. C’est figer notre vie dans une photo que l’on ne pourra jamais agrandir, dans un cadre trop petit par rapport aux possibilités de développement qui s’offrent à nous.
Peut-être aussi est-ce avoir peur… Peur de ce que nous nous représentons comme étant un échec. Ne pas arriver à faire une posture du premier coup et se dire que nous n’y arriverons jamais. Et ne plus se donner la peine de tenter puisque « c’est perdu d’avance »…

Contrairement à ce que l’on pourrait croire, l’auto-sabotage est toujours une solution de facilité. Devant l’ampleur d’un objectif, c’est tellement plus facile d’abandonner avant même d’avoir commencé, de baisser les bras avant même de s’être relevé les manches.
En réalité, ce qui nous empêche souvent de faire un premier pas (là encore, quel que soit le domaine de notre existence), c’est justement l’ampleur de l’objectif. Les projections de notre esprit nous envoient déjà les images de la dernière scène, une fois que tout a déjà été joué. Alors, si cette représentation est par trop idéalisée, elle peut paralyser : « Jamais je n’y arriverai ! ». Mais surtout – surtout ! – en espérant obtenir, réaliser, devenir …, nous induisons le bon déroulement des choses au risque de nous priver des véritables fruits du processus alors que nous ne l’avons même pas encore entamé.
L’esprit cherche souvent à contrôler les choses à tel point que notre champ de vision se réduit à ce que nous nous attendons à recevoir, au risque de passer à côté des vrais cadeaux qui nous étaient réservés. Parce que ce qui est bon pour nous n’est pas toujours ce que l’on croit…

Danseuse en tentative d’Eka Pāda Sirsāsana (posture du pied derrière la tête), Shravanabelagola, Karnataka, Inde

« Je ne suis pas assez souple pour faire du Yoga ! ». Ah oui ? Eh bien c’est justement cela qui fait de vous le meilleur candidat à la pratique du Yoga !
Nombreux sont ceux et celles à franchir (malgré tout) le seuil d’un cours de Yoga avec une idée de ce que cette pratique pourra leur apporter. Ils pratiquent le Yoga dans l’intention – plus ou moins louable – d’étirer leurs corps et de devenir plus souples. Il ne viendrait à personne – pas même à un prof de Yoga 😉 – l’idée de les blâmer pour cela ! Mais… Chaque fois que l’on se fixe un objectif, notre esprit est tellement absorbé par l’atteinte de ce dernier que nous passons à côté de tout ce qui se passe autour de nous et surtout en nous. Les résultats ne sont pas toujours là où on les attend. Et d’ailleurs, quoi attendre ? Pourquoi attendre ? Laissons venir. Laisser à l’esprit suffisamment d’espace pour accueillir ce qui doit se produire.

Sur le tapis, cela se traduit par essayer une posture et écouter, observer ce qui se passe en soi.
On passe la posture sans problème, tant mieux mais pas la peine non plus d’en tirer orgueil et chercher des spectateurs pour épater la galerie. On ne pratique pas dans l’espoir d’attirer le regard admiratif de l’autre. On pratique pour soi, pour ressentir dans notre corps l’énergie circuler par des canaux différents de ce que l’on a l’habitude d’expérimenter.
On passe la posture avec difficulté, voire on ne parvient pas à passer la posture, eh bien tant mieux aussi parce que, quoi qu’il arrive, à partir du moment où l’on est connecté à soi-même lorsque l’on pratique, on aura appris quelque chose sur nous-même qui nous permettra d’évoluer. On ne pratique pas dans l’espoir d’atteindre sans problème ni obstacle la posture dans sa façon la plus aboutie. On pratique justement pour se confronter à tout ce qui fait obstacle en nous contre la posture : les limites réelles de notre corps qui, par la régularité de la pratique, tendent à s’écarter, parfois sans même que l’on s’aperçoive de cette progression qui se fait grâce à nous mais aussi malgré nous ; et les limites fictives que nous fixe notre esprit en ne nous autorisant pas à aller au-delà de ce que nous croyons être.

Alors, la prochaine fois que votre mental vous impose des limites qui ne sont pas les vôtres, chaque fois qu’il veut vous faire croire que vous êtes moindres que ce que vous êtes : « Tu ne seras jamais à la hauteur ! » ou « Tu ne réussiras jamais à rien ! », répondez-lui gentiment : « Sois souple et tais-toi. » 🙂

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La souplesse c’est parfois juste la subtilité d’une présence au souffle devenue aussi fine que l’échancrure d’un soliflore dans laquelle l’éphémère éternité d’une fleur vient se glisser.

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Photos :

– Concours de singes en tentative d’Adho Mukha Vrksāsana (posture d’équilibre sur les mains), Shravanabelagola, Karnataka, Inde (août 2016)

– Danseuse en tentative d’Eka Pāda Sirsāsana (posture du pied derrière la tête), Shravanabelagola, Karnataka, Inde (août 2016)

– Photo noir et blanc : Amorce d’Uttanāsana Sarah Blais


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