Amis yogin, foutons-nous la Paix !

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Est-ce que méditer consiste à rester assis sans « rien » faire en attendant que « ça » jaillisse du sol sur lequel notre corps continue à frémir et que « ça » tombe du ciel sous lequel notre esprit continue à remuer ?

Ou faut-il se donner de la peine et du mal pour atteindre la paix intérieure tant recherchée dans l’idée que, comme « tout se mérite », si l’on n’y « met pas du sien », pas la peine d’espérer quoi que ce soit ?

Dans le domaine, on peut être amené à se sentir perdu entre l’attitude qui revient à « tout remettre à l’Univers, le laisser œuvrer, se laisser porter et bla bla bla » et l’attitude qui revient à s’investir dans une discipline sans concession où l’on en viendrait (presque) à se culpabiliser si l’on ne pratique pas assez ou si, malgré tous nos efforts, on reste tourmenté par notre mental parasité d’encombrantes pensées.

Naturellement, celles et ceux qui pratiquent le Yoga ont la plupart du temps une motivation. Sinon quel « intérêt » trouveraient-ils à pratiquer ?, pourrait on dire.

On se dit et on entend souvent : « je suis (au choix, voire tout à la fois) trop stressé, trop dispersé, trop angoissé, pas assez serein, pas assez centré, pas assez heureux, etc. etc. ».

Et plus on lit et on entend qu’il faut se calmer parce que « tu vas finir par te rendre malade » ou parce que « tu commences sérieusement à souler tout le monde », plus grandit en nous l’aspiration à aller mieux au point où c’est devenu quasiment une activité à temps complet.

« L’état de Yoga est la cessation des fluctuations du mental » est la traduction communément donnée à ce qui définit le Yoga dans les Yoga-Sutra de Patanjali (yogaś-citta-vr̥tti-nirodhaḥ, Y.S. I.2).

Forcément ça donne envie de s’y mettre ! Enfin la paix là-dedans ! Om Shanti et tout ce qui s’en suit… 😉

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Pour autant, tant que l’on est humain et vivant (parce que jusqu’à présent et jusqu’à preuve du contraire, aucun humain mort n’a confié son expérience à ce sujet), notre esprit est traversé de pensées, notre corps est traversé de sensations, notre cœur est traversé d’émotions et l’arrêt de tout cela, bien que souvent souhaité pour « avoir la paix », n’est en fait pas souhaitable : on ne peut faire l’économie de ce qui nous fait souffrir sans faire le sacrifice de ce qui nous fait plaisir. Soit on est vivant, soit on ne l’est pas ! Là-dessus il n’y a pas d’entre-deux ou en tout cas l’entre-deux (mort-vivant, ou plutôt vivant-mort…) est encore pire que les deux.

Donc, chacun tend – c’est bien humain – vers une recherche de « bien-être », voire même de « mieux-être » parce que pourquoi se contenter d’aller bien quand on pourrait aller mieux que bien ?

Le problème dans cette histoire c’est ça : « chacun tend » ! Oui ! Il y a une tension là-dedans. Ce n’est pas vraiment un problème en soi en fait : sans tension, pas d’action ; sans action, pas d’évolution ; sans évolution, stagnation ; et parfois, à un moment donné : stagnation, régression.

Le problème c’est l’insatisfaction qu’il y a derrière tout cela : on considère que rien n’est jamais assez bien et que tout pourrait être mieux, on considère que nous ne sommes jamais assez bien et que l’on pourrait toujours être mieux.

Alors, même dans tout ce que l’on entreprend pour prendre soin de nous, cette tension est toujours présente, ce qui est complètement absurde, avouons-le !

Qu’est-ce que ça signifie de se tendre ainsi pour se détendre ? La plupart du temps, on se fait violence pour connaître la paix, mais à quoi ça rime ?

Bon sang, foutons-nous la paix ! Fous-toi la paix ! (et fous-moi la paix aussi tant qu’on y est 😀 ).

Dans les mêmes Yoga-Sutra évoqués plus haut, il est abordé la notion d’« effort juste » (sthira-sukham-āsanam, Y.S. II.46). Alors certes, cela fait référence à l’asana, la posture de Yoga, mais il serait bien réducteur de cantonner la posture en question à celle que l’on réalise sur un tapis. C’est bien au-delà de cela. Il s’agit de la posture, de l’attitude, que l’on est amené à avoir dans l’ensemble de notre vie.

L’« effort juste » renvoie à une forme de tonicité corporelle et de vigilance mentale (sthira) associée à une forme de détente physique et de tranquillité d’esprit (sukha).

Ainsi, il s’agit non pas d’être dans le « ou bien, ou bien » mais d’être dans les deux à la fois et simultanément, en plus !

Il ne s’agit pas de soit s’investir dans une discipline sans concession, soit d’abandonner totalement notre sort entre les mains d’une prétendue Providence (ou de Dieu, ou de l’Univers, ou de toute autre « chose » qui ferait ce qu’il y a de mieux pour nous parce que nous croyons ne pas le savoir nous-mêmes, bande d’ignorants que nous sommes !).

Il s’agit de trouver l’équilibre entre, à la fois une attitude active car il est plus que temps d’arrêter de croire benoîtement qu’il suffit de se laisser porter par le « flow » et qu’il nous emmènera sur l’île aux trésors qui nous attend ; et, à la fois, une attitude ouverte car, en nous imposant une trop grande rigueur, nous nous focalisons aveuglément et avec entêtement sur une direction, fermant ainsi les portes de nos yeux sur toutes les autres qui pourraient pourtant nous être plus enrichissantes.

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Autrement dit, nous ne connaîtrons pas la paix espérée si l’on reste là à attendre que l’Univers décide de nous en gratifier sur fond de ciel bleu serein dans lequel chaque nuage est remplacé par un ange souriant. Elle ne nous sera pas non plus accordée à force de volonté et d’entraînement acharné pour l’obtenir comme une récompense remise pour saluer nos mérites.

Cette paix recherchée est en fait déjà là. En nous. Toutes les réponses aux questions que l’on se pose et toutes les solutions aux problèmes que l’on se construit histoire de nous occuper, de nous enquiquiner et d’avoir matière à nous lamenter ne sont nulle part ailleurs qu’en nous-mêmes.

Etant donné que notre mental est le créateur des maux qui l’affectent, il en est aussi le guérisseur. L’antidote est dans le poison…

Il n’est pas nécessaire de se dire « Il faut que j’arrête de penser », nous ne cesserons jamais de penser de toute façon. Et se faire violence pour « tendre » 😉 vers la paix est totalement contre-productif, épuisant et culpabilisant.

Il est, dans un autre registre, incohérent et sans doute immature de se déresponsabiliser de soi en se disant que rien n’est à faire, que tout se fera (ou pas). Là encore, mais cette fois de façon implicite, c’est chercher à tendre vers. Dans une attente (non assumée ! car, si tu dis que tu as des attentes, on te répond qu’IL FAUT être sans attentes…) d’un « meilleur à venir » parce que ce qui est là n’est pas assez bien.

L’effort juste est de prendre conscience de notre paix. Tendre vers elle et l’accueillir elle qui est déjà là.

L’effort juste est simplement de déconstruire tous les remparts que nous avons érigé inconsciemment autour d’elle (et de nous-mêmes) pour nous en compliquer l’accès (pourquoi faire simple quand on peut faire compliqué ?).

L’effort juste est de regarder à hauteur de notre cœur plutôt que de nous rompre le cou et nous casser la tête à lever les yeux pour regarder plus haut et plus loin que là où nous sommes.

L’effort juste est de sonder avec honnêteté ce que notre cœur souhaite réellement et prendre conscience qu’il porte déjà cela en lui. Il suffit de l’ouvrir pour l’autoriser à parler et s’autoriser à l’écouter :

Fous-toi donc la paix à essayer de la chercher ! Tu es déjà en paix, il n’y a que toi qui continue de l’ignorer.

Om Shanti ! 🙂

***

Photos :

– Méditation, Chamundi Hill, Karnataka, Inde (juillet 2015)

– Hanuman en posture de Samasthiti avec Anjali Mudra (geste de paix), Mysore, Karnataka, Inde (août 2015)

– L’ange Krishna, Mysore, Karnataka, Inde (janvier 2017)


7 réflexions sur “Amis yogin, foutons-nous la Paix !

  1. Ton article m’atteint en plein cœur ! Je suis déstabilisée Tellement de personnes m’ont dit cela ! Que faire pour s’en sortir et sans emmerder tout le monde Je manque d’humour ce soir mais ta séance était superbe et originale He je sais pas si ma réponse t’intéresse Bises

    Envoyé de mon iPhone

    >

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    1. A vrai dire Martine, je crois que plutôt que vouloir à tout prix en sortir, il convient plutôt d’y entrer. Et y entrer totalement.
      C’est parce que l’on s’empêche d’y entrer pleinement que l’on ne parvient pas à s’en sortir. C’est parce que l’on a peur de tomber, que l’on est constamment en déséquilibre.
      Si on lâche la crainte d’entrer de peur de ne pas s’en sortir, eh bien en fait on s’en sort ! C’est comme pour la pratique : si on laisse la peur de ne pas y arriver, on lâche alors la tension qui constitue un frein à expérimenter ce qui est là pour nous. 🙂
      Belle soirée à toi !

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  2. Bonjour,
    Il n y a pas de coïncidence et ton article arrive alors que je me pose toutes ces questions sur l’effort. L’effort, je n’y crois plus, Ni dans la vie, ni sur mon tapis. J’en ai trop fait durant ma formation pour executer des asanas parfaits. J’en ai trop fait dans la vie pour essayer d’y arriver. Et la, comme par magie, tout se met en place et j’observe avec de grands moments d’ébahissement et de gratitude envers l’univers. Merci pour ton texte.

    Aimé par 1 personne

    1. Merci à toi Letizia pour ce partage. Quelle libération aussi lorsque l’on parvient à intégrer concrètement cette notion d’effort juste qu’il est assez évident de comprendre en fait mais finalement pas si simple à mettre en pratique. En fin de compte, ce qui demande le plus grand effort est justement d’abandonner tout effort. Oeuvrer bien sûr, s’investir pour pouvoir avancer vers soi-même mais sans que cela ne réclame de se faire violence. Ahimsa commence par soi. L’apaisement des exigences envers nous-même ouvre la porte de notre coeur et c’est alors, dans cette bienveillance – cet Amour, même ! – que nous résonnons au plus juste de notre nature pour vibrer en écho avec celle de tous les êtres avec lesquels nous ne faisons qu’un.
      Namaste

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