Le sacre du Printemps, la renaissance et le renouveau que l’entrée en cette saison si attendue promet, voilà toute l’enthousiasmante symbolique à l’œuvre dans la palette de couleurs offerte par Holî.
Les réjouissances de cette fête font battre le cœur de l’Inde au moment de la pleine lune du mois Phâlguna (en 2023, Holî a lieu les 7 et 8 mars). C’est ce mois qui donne d’ailleurs son nom à Phâlgunotsava (une autre façon d’appeler Holî), « utsava » signifiant « festival » en sanskrit.
Si l’on s’intéresse de façon un peu plus approfondie à l’étymologie de ce mot, on retrouve « Phâla », « fruit » et « Guna » qui désigne les trois qualités primordiales (Tamas, la stabilité ou l’immobilité ; Rajas, l’action ou la passion ; Sattva, la pureté, la transparence / pour plus de précisions à ce sujet, voir l’article suivant : Parivritta Trikonâsana, le triangle aux trois Gunas).
Derrière la notion de « fruit » (Phâla), Phâlgunotsava traduit son intention de célébrer le culte de la fertilité. Au-delà de l’image de la sève qui rejaillit dans le règne végétal jusqu’à faire éclore les premiers bourgeons, prémices des fruits futurs qu’ils annoncent, la fertilité qui fleurit ici correspond surtout à la volonté de semer les graines du « Bien ». Car, à l’instar de Diwali qui le célèbre à l’aube du solstice d’Hiver (cf. Diwali. Que la Lumière soit !), Holî marque le triomphe du Bien sur le Mal.
C’est bien ce à quoi fait référence le concept de « Guna » présent ici, en invitant à sortir de l’inertie et de l’agitation (versants négatifs de Tamas et Rajas) pour s’inscrire plutôt dans l’enracinement et la croissance (versants positifs de Tamas et Rajas), propices au développement de la Conscience de Sattva, la pureté de la Lumière.
Et la Lumière dont il est question n’est autre que cette identité divine que chacun – végétal, animal, humain – incarne à son insu jusqu’à ce que les voiles obscurs de l’ignorance ne se soient dissous. Alors, s’élevant hors de l’ombre (et des ombres) de lui-même, la nature spirituelle de chacun peut resplendir dans toute sa grâce et sa beauté.
Avec l’allongement des journées au Printemps, cette Lumière est bien entendu représentée par le retour tant espéré du Soleil qui nous fait de plus en plus l’honneur de sa présence dans l’intensification progressive de sa luminosité et de sa chaleur. Soleil qui éclaire, Soleil qui irradie, Soleil qui illumine et Soleil qui réanime les couleurs qui, dans le sommeil de l’Hiver, s’étaient endormies.
Car voilà, Holî est surtout connue comme étant le Festival des couleurs.

La nuit de pleine lune du mois Phâlguna (cette année c’est cette nuit du 7 au 8 mars), un grand feu est allumé en commémoration de la victoire de Vishnu sur la démone Holikâ (à qui Holî doit son nom), dont la crémation symbolise la calcination de tous les « péchés », entendons par là : tout ce qui fait obstacle au rayonnement de notre essence profonde qui est de nature divine (à propos de la symbolique du feu, voir l’article suivant : Souffler sur les braises du feu de la transformation).
On retrouve d’ailleurs ici l’équivalent du mercredi des Cendres qui, vers la fin de l’Hiver, marque l’entrée des Chrétiens dans la période de Carême : lors de cette cérémonie purificatrice, dans le feu rédempteur de la Foi, les péchés sont réduits à l’état de cendre afin de se préparer à la renaissance du Bien, métaphorisée par la résurrection du Christ. Ce n’est pas un hasard si la fête de Pâques a lieu au Printemps… Comme Noël, qui se substitua aux fêtes païennes du solstice d’Hiver (cf. Diwali), l’institution de Pâques aux environs de l’équinoxe de Printemps avait pour vocation l’évangélisation d’un peuple aux croyances et surtout aux rites empreints d’un paganisme faisant obstacle à la diffusion de la religion chrétienne.
Le lendemain de la nuit de destruction des péchés, le terrain est ainsi redevenu vierge pour planter la semence porteuse de Bien, de Foi et d’Amour.
Renaissance.
Ce jour là, que l’on appelle Rangapanchami (de « Pancha », cinq ; et « Anga », membres), les Hindous circulent dans les rues, habillés de blanc, couleur désignant la pureté de leur âme nettoyée des péchés. Ils laissent alors jaillir l’espérance optimiste que ce renouveau présage en s’aspergeant et en s’éclaboussant de poudres aux couleurs chatoyantes. Chacune des cinq (Pancha) couleurs utilisées est destinée à faire fleurir les bonnes augures souhaitées : le bleu pour la sérénité et la paix intérieure ; le vert pour la récolte et l’harmonie ; le jaune pour la confiance et la foi ; le orange pour la force et la vitalité ; le rouge pour la fertilité et l’amour (cependant, selon les régions de l’Inde, on trouve parfois des variations dans ce code des couleurs).

Car derrière ce festival de couleurs se cache aussi une légende autour de l’histoire d’amour liant le dieu Krishna (huitième avatar de Vishnu) à Râdhâ, sa favorite.
Krishna – qui signifie « bleu sombre » en sanskrit – était très ennuyé que la couleur de sa peau soit plus foncée que celle de sa bien-aimée (à la peau claire). Afin de dissiper cette différence, source de contrariété pour Krishna, Yashoda, la mère de ce-dernier, lui conseilla d’apposer de la couleur sur le visage de Râdhâ.
Ainsi unis dans une ressemblance transcendant leurs différences, le couple Krishna-Râdhâ personnifia la fusion entre Shiva et Shakti (le principe masculin et le principe féminin) jusqu’à ce qu’il devienne le symbole d’un amour intégral et éternel, au-delà de tout obstacle. Il s’agit ni plus ni moins de l’Amour divin, que l’on appelle « Prema » en sanskrit.
Et l’on rencontre en fait cette abolition des différences au détour de chaque rue, bruissant sous l’effervescence de Holî : ce jour là, le peuple entier fait fi de toute hiérarchie sociale. Dans un joyeux patchwork de couleurs, quel que soit leur rang, tous les êtres se mélangent. Les pigments s’évertuent à se transformer en heureux ferment d’unité et en vecteur du bonheur d’un lien surclassant le système de caste. Pour une journée seulement…
Cela ne va pas sans rappeler le Carnaval qui, à peu près à la même époque de l’année, bat son plein en d’autres régions du globe. En effet, à l’origine, derrière les masques et déguisements, le Carnaval annihilait les distinctions sociales, autorisant ainsi les esprits révoltés à extérioriser et à exorciser pacifiquement tout désir d’insurrection. Chacun y trouvait alors son compte.
Holî, c’est donc l’espoir.
L’espoir d’un ciel bleu de vie qui étouffe les nuages gris de cendre.
L’espoir du Pardon qui allège le cœur du pesant chagrin qui l’alourdit.
L’espoir de l’Union qui, dans un Souffle radieux, éteint toute source de séparation.
Après la pluie, le beau temps ; derrière les larmes, les rires ; et l’arc-en-ciel jaillit comme un rayon de soleil dans un éclat de joie, réunissant et unissant tous les êtres comme les membres indissociables d’un seul et même corps : le corps de l’Humanité, métaphorisé par cette fête aux mille couleurs qui fait palpiter le Cœur de l’Inde.
May Holî be Holy !
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On a fait Diwali en Inde cette année et ça donne vraiment envie de faire Holi ! Merci pour cet article
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