« Optimiser sa vie, étape par étape », « Comment accéder au bonheur en 10 leçons », « Tout ce qu’il faut savoir pour réussir à méditer », « Manuel pour pouvoir bien pratiquer le yoga », « La meilleure méthode pour l’éveil spirituel », etc. (toute ressemblance avec des titres de livres ou de séminaires existants est purement… blablabla).
On ne compte plus le nombre d’ouvrages ou de stages consacrés de près ou de loin au développement personnel. C’est une chance d’avoir à notre service ces chien-guides voués à faire recouvrir la vue au commun des mortels dont l’ignorance abyssale obstruerait le troisième œil. Il serait bien ingrat de blâmer une si louable intention !
Alors comme ça LA réponse à toutes nos interrogations se trouverait là ? LA clé multipasse adaptée à toutes les serrures de nos problématiques serait cela ? Ce savant conglomérat de mots écrits ou prononcés par des auteurs ou des leaders convaincus – et visiblement convaincants – de savoir mieux que nous-mêmes ce qui est bon pour nous…
Et, enfants gâtés que nous sommes, dans un élan de bonté démesurée, LA voie à suivre nous serait révélée par la bonne parole (écrite ou orale) de ces bons samaritains omniscients.
Il suffirait donc de planter ce si fertile engrais dans notre grand champ mental pour y voir pousser les plus belles roses de la sagesse… C’en est indécent de simplicité !
Équipés d’une si belle panoplie prêt-à-porter de l’Homme heureux, comment oserions-nous alors encore nous plaindre que nous ne le sommes pas tant que ça ?
Car, c’est indéniable, tout s’évertue à nous fournir toutes les techniques pour atteindre le bien-être et, une fois celui-ci atteint, pour viser le mieux-être tant qu’on y est, soyons ambitieux !
Les titres rivalisent d’ingéniosité, usant et abusant de tous les superlatifs (et de toutes les supercheries) pour attirer des lecteurs dont les bibliothèques se remplissent inexorablement sans pour autant que leur sérénité, leur concentration, leur joie de vivre, leur optimisme, … s’accroissent proportionnellement au nombre de pages dévorées, tournées, digérées et parfois même, dans un accès d’overdose, régurgitées.
Les conférences et autres « coachings » se multiplient sans jamais se concurrencer tant le marché est favorable, et les participants enjoués les enchaînent et les collectionnent jusqu’à devenir presque plus avisés que les « spécialistes » qu’ils vont religieusement écouter. Et pourtant, toute cette matière théorique (et parfois, admettons, pratique) qu’ils accumulent pour ainsi dire compulsivement semble bien décevante si elle nécessite systématiquement d’être réensemencée par de nouvelles prédications toutes aussi « incomplètes ».
Si l’offre est si florissante n’est-ce pas que la demande demeure insatisfaite ?
Que vaut vraiment une méthode dont la promesse est tellement alléchante qu’elle laisse forcément irrémédiablement sur sa faim celui qui y goûte ?
Quel texte faudra-t-il encore lire et réfléchir, quel enseignement faudra-t-il encore apprendre et comprendre, quelle connaissance faudra-t-il encore intégrer et enregistrer avant de trouver ce que l’on recherche ?
La question est en fait surtout de savoir si nous cherchons bien au bon endroit…
Les auto-proclamés professionnels en bonheur ne sont finalement peut-être rien d’autre que des marchands de rêve. Les lire ou les écouter n’aurait peut-être rien de plus à offrir que de faire germer les espoirs de l’éventualité, voire – allez, soyons fous – de la probabilité de se sentir et d’être mieux. Ce qui n’est déjà pas si mal, contentons-nous en.
Alimenter la pensée, nourrir l’esprit, sustenter l’insatiable appétit que nous avons de tout saisir et de tout appréhender intellectuellement…
Mais en pratique ?…
A quoi sert-il d’emmagasiner des stocks de conseils et prescriptions qui, entassés dans l’étroitesse de leurs cases mal ajustées, sont autant de châteaux de sable prêts à s’effondrer au moindre souffle qui n’était pas prévu dans les kits de préfrabriqué qui nous ont été livrés ?
En réalité, les préconisations diverses, et même parfois contradictoires, qui nous persuadent de nous aider à devenir ce que nous sommes vraiment ont la plupart du temps pour seul résultat de nous perdre dans les méandres obscures de la confusion à mesure où l’on cherche à brillamment régner dans la clarté.
Car, à trop écouter ces voix dissonantes extérieures à nous-mêmes, convaincus qu’elles en savent certainement plus et mieux que nous, plutôt que nous rapprocher de nous-mêmes comme il nous l’est promis, nous nous en éloignons.
Il serait sans doute judicieux de se demander si nous ne prenons pas les choses à l’envers : chercher à les comprendre avant même de les expérimenter, anticiper l’expérience par la compréhension. Autrement dit, lire et écouter ce que d’autres personnes ont à dire de quelque chose que nous souhaiterions vivre en nous ôtant le plaisir de l’originalité d’un chemin que nous pourrions nous-mêmes trouver et tracer pour y accéder.
Le piège est alors de croire qu’il n’existe qu’une seule voie et que cette voie est la même pour tous et que tous ont à vivre et à ressentir les mêmes choses sur cette même voie. Ainsi, attendant tellement ce que l’on nous a dit qu’il fallait ressentir, nous nous amputons de l’inédit de ce que nous pourrions nous-mêmes, par nous-mêmes, ressentir. Cela reviendrait donc à se priver de la quintessence de l’expérience unique qui pourrait nous être donnée de vivre.
S’il fallait lire ou entendre un seul conseil ce serait celui-ci : « Tu n’as pas besoin de comprendre quoi que ce soit, vis-le ! » (1). C’est la simplicité inoffensive d’une phrase qui, aussitôt prononcée, abandonne déjà à son destinataire toute la puissance ignorée de sa portée.
Que dire, que penser lorsque les mots demeurent trop pauvres pour formuler la richesse d’une expérience hors de tout entendement qu’aucun livre, qu’aucune conférence ne parviendrait à retranscrire ou à traduire, quand bien même son auteur ou son orateur fût talentueux ou charismatique ?
Subitement, tout ce qui est de l’ordre du connu s’évanouit et s’abandonne. Absolu néant. Il n’y a plus rien. Vertige saisissant et réjouissant du tout inconnu et inexploré. Tout est là.
Et ici, la compréhension est bien trop faible et insuffisante pour fournir une logique satisfaisante à ce qui vient d’être vécu, vierge de toute explication antérieure. Sur les ruines d’un mental aux fondations trop rigides, peut ainsi enfin démarrer la construction du sublime indicible.
Et cette expérience inexplicable, il n’est pas nécessaire qu’elle eût été décrite au préalable, il n’est pas non plus nécessaire de la décrire ensuite. Elle est d’ailleurs indescriptible.
Elle peut se produire à chaque instant pourvu que l’on soit prêt à l’accueillir, pourvu que l’on soit prêt à disparaître pour lui permettre de prendre toute la place.
Nous rendre disponible, physiquement, mentalement, extérieurement, intérieurement.
Nous laisser traverser et pénétrer tout entier.
Accepter de sortir du raisonnement et de la réflexion. Être là. Sans aucune autre ambition. Être là. C’est suffisant. Être là et déjà ne plus y être : être au-delà.
Cette expérience c’est l’expression de la Grâce : il n’est pas besoin de comprendre quoi que ce soit, il convient juste de le vivre. Pleinement. De tout son être. Avec des larmes dans les yeux, des frissons sur la peau, des palpitations dans le cœur.
Quelle lecture, quelle conférence pour transmettre cela ?
La Félicité s’apprend-t-elle vraiment dans un manuel ou dans un mode d’emploi ?
(1) « Tu n’as pas besoin de comprendre quoi que ce soit, vis-le ! » (« You don’t need to understand anything, live it ! ») : Phrase que m’avait dite un ami indien alors que j’étais bouleversée après qu’il m’ait guidée dans une puissante méditation (28 février 2014).
***
Ok, tu cherches une méthode pour aller mieux ou… encore mieux ! : pour aller bien.
Bonne nouvelle ! Il suffit d’apprendre une formule magique……
Tu peux te mettre dans toutes les postures imaginables aux noms les plus imprononçables histoire d’apprendre le sanskrit à ton corps.
Tu peux passer des heures à observer tes pensées tourner en rond dans ton esprit comme des poissons rouges pataugent dans leur bocal.
Tu peux te prosterner aux pieds du Soleil, t’agenouiller sous le manguier de Bouddha, invoquer la trompe de Ganesh, prier Frère Jacques ou Saint Glinglin pour qu’ils t’exaucent enfin.
Tu peux jeûner jusqu’à ce que t’arrêtes de manger, te taire jusqu’à ce que t’arrêtes de parler, veiller jusqu’à ce que t’arrêtes de dormir, te mettre en apnée jusqu’à ce que t’arrêtes de respirer, et même tout arrêter jusqu’à ce que t’arrêtes de bouger.
Tu peux tout essayer, tout abandonner, tout recommencer et, désemparé, te désespérer de parvenir un jour à te trouver.
Tu peux continuer tout cela si ça te convient. C’est très bien.
Mais si tu cherches encore, c’est que tu n’as pas encore trouvé… ou du moins, tu ne t’es pas encore laissé trouver.
Il serait alors peut-être temps d’essayer quelque chose de nouveau, de révolutionnaire. Une bombe de création massive. Une formule magique extraordinaire, tellement ordinaire que jamais tu n’aurais pu y penser.
Tu n’as besoin ni de tapis de yoga, ni de coussin de méditation, ni d’autel de dévotion, ni de discipline, ni de sacrifice, ni de quoi que ce soit, ni de qui que ce soit.
Tu as juste besoin de toi-même. C’est déjà pas mal. C’est même l’essentiel.
Tu peux le faire par tous les temps (surtout quand il fait gris), par toutes les humeurs (surtout quand tu es triste), dans toutes les circonstances (surtout en cas de panique), tout seul ou bien en compagnie (bonne, mais mauvaise aussi).
Tu peux le faire résonner en toi silencieusement, le murmurer du bout des lèvres, le prononcer à haute voix, le hurler à pleins poumons.
Peu importe.
Le principal c’est que tu ne triches pas.
Passer par le mental c’est de la triche.
Prends pas ton cœur pour un idiot hein !
Il sait bien reconnaître ce qui est dit machinalement depuis ta tête de ce qui est dit profondément depuis ton âme.
Ne te contente pas de le dire, ni même de le penser.
Ressens-le intensément dans l’absolu de chacune des cellules de tout ton être.
Alors maintenant essaie et répète le encore, et encore, et encore, et encore, et encore, et encore, et encore.
Jusqu’à ce qu’il vibre comme l’onde d’un écho qui se répand bien au-delà des contours flous de ton corps :
« Je t’aime »
Voilà !
Ça y est !
Tu as réussi !
Ouf !
Enfin !
Pas trop tôt !
Mais bonne nouvelle ! : pas trop tard non plus !…
« JE T’AIME »
Pourquoi rendre si compliqué ce qui est pourtant si simple ?
« JE
T’AIME »
C’est Tout.
(Texte originellement publié ici sur Yoga Sésâme page Facebook)