Nous sommes, au cours de notre vie, confrontés à mille événements amenés à nous ébranler, voire à nous bouleverser. Des émotions fortes qui nous traversent et nous dépassent et face auxquelles on croit qu’il faudrait trouver des stratégies pour ne pas se laisser déborder, submerger et renverser parce que oh la la il faut que l’on reste le maître à bord de nous-même, sinon on ne sait jamais ce qui pourrait nous arriver…
Dans le domaine du Yoga, et plus particulièrement dans la pratique de la méditation que le Yoga englobe, on parle souvent de « Paix intérieure » qu’il conviendrait d’atteindre. On entend aussi souvent parler de « Sérénité » ou encore d’ « Équanimité » mais le sens que l’on met derrière ces expressions est en fait le même : pouvoir rester dans la stabilité au-dedans de soi face à l’imprévisible qui viendrait nous bousculer.
Dans cette quête de « Paix intérieure », la question revient alors à se demander si le Yoga permet d’atteindre cette stabilité, cette sérénité, cette équanimité les plus suprêmes, quoi qu’il arrive, quelles que soient les situations et même face aux pires catastrophes (genre l’arrestation de la Castafiore par exemple) ?
Ahhh… Parvenir à ne plus s’effondrer à la première tempête, à ne plus se faire foudroyer par le moindre tonnerre de Brest, ce serait tellement reposant !…
Toutefois, il faut être honnête, la réponse est non, le Yoga ne permettra jamais d’atteindre cet état de Paix intérieure permanente à laquelle tout le monde aspire.
Alors là, cri d’effroi ! Quoi ? Comment ? Pourquoi ? Alors à quoi bon ? Etcetera, etcetera.
Il y avait déjà ce texte (Le Yoga, ça sert… à rien) qui évoquait un peu le sujet mais le questionnement ici mérite un développement plus ciblé.
En réalité, la réponse est double et pour tout dire – et c’est d’ailleurs amusant – cette double réponse est tout à fait contradictoire.
Première réponse : le Yoga ne permettra jamais d’atteindre l’état de Paix intérieure permanente à laquelle tout le monde aspire parce que cette Paix – ou plutôt l’idée que l’on s’en fait – n’existe pas. Elle n’a jamais existé et n’existera jamais.
Deuxième réponse : le Yoga ne permettra jamais d’atteindre l’état de Paix intérieure permanente à laquelle tout le monde aspire parce que cette Paix – sa Réalité telle qu’elle est – existe déjà. Elle existe depuis toujours et existera pour toujours.
Dit comme ça, cela semble contradictoire en effet mais c’est en fait d’une évidence absolue. C’est parce que la Paix intérieure – telle que nous l’imaginons, telle que nous l’espérons, telle que nous la voulons – n’existe pas que la Paix intérieure – véritable et réelle – peut exister déjà. Et inversement.
Explications…
La paix n’existe pas, n’a jamais existé et n’existera jamais
Souvent, soyons clairs là-dessus, la pratique est utilisée – de façon pleinement consciente mais, le plus souvent tout à fait inconsciente – comme un moyen d’apprendre des techniques qui nous immuniseraient en quelque sorte contre le tumulte de la vie, histoire de ne pas tomber en larmes ou en miettes dès que nous nous sentons ballottés. (cf. Du Deux brisé en mille jusqu’à l’Un)
Nous voulons maîtriser ce qui nous arrive. Seulement, lorsque l’on prend conscience que notre marge de manœuvre là-dessus est somme toute assez faible pour ne pas dire nulle, nous cherchons alors à maîtriser la manière dont on accueille ce qui nous arrive. Et le plus facile, histoire de ne pas se laisser prendre par surprise, c’est de bétonner sa garde.
C’est le fameux « prendre du recul » mais tellement pris au pied de la lettre qu’à force de reculer face à ce qui se présente, de peur de se laisser envahir et submerger, on finit par tomber dans le précipice au fin fond de soi-même et, à tellement tout percevoir comme une menace qui nous causerait de la souffrance, on ne s’autorise alors plus à vivre quoi que ce soit. Pas de jugement de valeur mais quand même : c’est un peu con faut avouer.
En fin de compte cette « paix intérieure » là n’est que la construction défensive qu’a érigé notre mental avec les pierres de nos peurs pour nous séparer – pour nous protéger – du « grand-méchant-monde » que l’on ne peut maîtriser.
À défaut de pouvoir menotter l’imprévisible non-maîtrisable, on s’emprisonne soi-même de façon consentante, peu importe pourvu qu’on ait « la paix » ! (du moins l’idée que l’on s’en fait : le confort du connu tandis que l’inconnu est perçu comme terrifiant)
Bref, cette prétendue paix se trouve en fait dans le sacrifice de notre jouissance de notre liberté. Car on ne peut se prémunir de ce qui pourrait nous faire souffrir sans nous circoncire de ce qui pourrait nous donner du plaisir.
Cette paix n’existe pas, elle n’est qu’une illusion car dans cet état de contrôle et de neutralisation permanents, nous sommes tout sauf en paix (permanente). Nous sommes au contraire en lutte contre le monde perçu comme une menace à notre paix justement ; et contre nous-même que l’on dresse à ne pas se laisser affecter pour ne pas ressentir les choses avec trop d’intensité.
Alors qu’est-ce qu’il en est de la Paix tant convoitée pourtant ?
La Paix existe déjà, existe depuis toujours et existera pour toujours
Cette Paix intérieure recherchée comme le trésor de Rackham Le Rouge ne se trouve pas en fait. Et elle ne se trouve pas tout simplement parce que, tout comme l’on ne peut créer ce qui existe déjà ou obtenir ce que l’on a déjà, on ne peut pas non plus atteindre ce qui n’est pas à atteindre puisque c’est déjà atteint et c’est en fait plutôt à nous de nous laisser atteindre.
Oui, nous n’avons pas à acquérir ou conquérir cette Paix (on pourrait tout aussi bien dire l’Amour, cela revient au même), c’est même plutôt l’inverse : nous avons juste à nous laisser envahir par Cela qui est déjà là en nous mais qui n’attend que nous pour rayonner (et nous faire rayonner).
La pratique n’est pas une forme d’anesthésie qui consisterait à s’entraîner à ne plus rien ressentir, hermétique à tout ce qui pourrait venir perturber et déranger l’ordre de notre paix intérieure fabriquée sur mesure mais si ajustée que l’on finit par étouffer, engoncé dans des coutures trop serrées.
En fait, la Paix n’est pas à tisser comme une armure de protection pour rester bien au chaud à l’intérieur de soi-même en priant pour que pourvu rien ne nous arrive parce que sinon effectivement rien ne nous arrivera. Et c’est bien dommage d’habiter son corps et sa vie comme dans un vêtement trop étroit dans lequel s’enfermer plutôt que de les incarner avec souplesse et légèreté, ouverts justement à tout ce qui peut nous arriver parce que précisément cette Paix est de toute façon toujours là, en soi.
Elle est parfois peut-être planquée, mais là. Oubliée, mais là. Ignorée, mais là.
Nous avons juste à nous dénuder de tous nos voiles de protection pour la découvrir, à nous plonger le cœur le premier en tout pour nous en souvenir, à nous aimer tout entier pour l’accueillir.
Elle est invisible, silencieuse, impalpable, mais elle est là.
Nous avons juste à apprendre à regarder là où rien ne se voit, à écouter là où rien ne s’entend, à toucher là où rien ne se sent car c’est là que nous verrons, entendrons et sentirons tout vivre en nous. Simplement. En Paix.
À tant laisser – pour nous en détourner – notre attention être captée, captivée et capturée par une paix fantasmée qui nous éloigne de la Vérité, forcément Elle semble loin voire impossible à « atteindre ». Mais l’œil, l’oreille et la main c’est en Soi qu’il nous revient de les orienter. Cela ne tient qu’à cela.
Sinon, à force de nous éloigner (de nous-même), on se perd (partout).
Je dirai même plus : à force de nous perdre (nous-même), on s’éloigne (du Tout).
Car Tout est là. Dans notre Cœur qui bat.
Nous n’avons donc pas à nous tendre ni à attendre d’atteindre la Paix. Elle palpite en nous déjà, il suffit de s’ouvrir pour l’entendre et la laisser nous prendre. Tout entier.
– Collage de Jen Fountain
– Tintin imperturbable en Sirsâsana, in Tintin et les Picaros, Hergé
– Dessin origine inconnue hélas
– Heart Chakra, Alphachanneling
Marie
Un beau soleil d’automne et tes mots pour démarrer cette journée…
toujours aussi justes et qui font toujours échos dans le coeur de tes nombreux lecteurs
Te lire au travers d’un écran j’aime, mais un livre que je pourrais porter, emporter, poser, lire , relire, serait plus vivant, plus vibrant.
Avec une telle plume ce serait dommage de ne pas coucher tes mots sur papier, avant que du décides de te retirer dans ta grotte d’ermite : ) !!!!
Je t’embrasse avec un coeur plus apaisé…Merci Marie
Emmanuelle
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Un si grand merci Emmanuelle pour la douceur de tes mots.
Un livre… hum… il faut savoir l’oser… on verra…
Je t’embrasse moi aussi avec le ravissement de savoir ton coeur apaisé.
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