L’été dernier, quelques minutes après le lever du soleil et quelques jours avant la pleine lune, au cœur immergé d’une retraite de méditation, face à la mer, dans le silence, suite à un temps indéterminé passé avec les paupières abaissées sur un regard tourné vers le dedans, lorsqu’elles se sont levées, ce dernier s’est posé spontanément et instantanément sur un coquillage siamois, tout petit, immaculé et ouvert : deux coquilles reliées au centre, ne tenant toutes deux qu’en ce seul point pour ne faire qu’un.
C’était la première fois que je voyais cela.
On pouvait bien distinguer les deux parties, semblant d’ailleurs identiques bien que différentes à l’œil de celle ou de celui qui s’offrait d’y prêter un peu du soin de son attention ; mais à la fois unies, liées, formant un tout plus riche sans doute que chaque partie isolée chacune de son côté.
Un lien qu’il était cependant facile de deviner fragile, comme s’il ne tenait qu’à un fil et qu’il convenait dès lors de manipuler avec toutes les plus hautes précautions et toute la plus grande délicatesse au risque sinon de briser ce qui était uni par la nature, mais que celle-ci pouvait tout aussi bien désunir à son gré ; il suffirait d’une vague…
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Émerveillée par cette découverte alors même que le thème de la retraite était l’Union de Shiva (la Conscience) et Shakti (la Matière) au cœur de soi, et probablement happée par un élan d’avidité (nous restons humains, n’est-ce pas ? 🙂 ) bien que freiné dans un premier temps par une hésitation à m’emparer de ce qui ne méritait pas de faire les frais d’une quelconque possessivité, j’ai ramassé l’objet de la contemplation afin de partager la joie de celle-ci avec mes compagnons de retraite.
Et puis, une fois au bord de l’eau, avec certains d’entre eux nous avons constaté avec ravissement que la mer en déposait, à nos pieds mouillés, des familles entières de ces coquillages siamois.
Un ami en a ramassé une poignée pour me les donner et je les ai alors rassemblés avec le premier avant de les glisser dans une pochette bien protégée de mon sac avec toute la prévenance nécessaire pour ne rien abîmer.
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Shankha Mudra, le geste de la Conque. La Conque étant le coquillage duquel, par le Souffle que l’on y fait pénétrer, émane le son primordial de la Création : le Om
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Et puis… je l’avoue… le temps a passé… et j’ai oublié ce trésor. Probablement parce que ce qui se vivait intérieurement primait sur les objets fussent-ils aussi précieux par toute leur symbolique.
Puis quelques jours après le retour, sans plus du tout y penser, en ouvrant la pochette secrète pour y déposer autre chose de sacré, j’ai senti sous mes doigts une matière presque aussi granuleuse que du sable et je me suis demandée ce que c’était.
J’ai retourné le sac, puis la pochette, et effectivement de tous petits morceaux blanc nacré s’en sont écoulés et je me suis rappelée qu’il ne s’agissait de rien d’autre que les coquillages siamois. Mais brisés.
En mille morceaux.
Je crois que ça a éveillé une sorte de mélange de sentiments de tristesse, de déception, de culpabilité aussi. Des sentiments aussi mêlés que tous ces petits bouts dont il était impossible de discerner la nature dans laquelle ils avaient été trouvés.
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Akhilandeshvari, la déesse qui jamais ne se brise pas (autrement dit la déesse qui peut toujours se briser en mille morceaux)
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J’ai néanmoins conservé le tout que je ne pouvais me résoudre à jeter comme si cela n’avait à présent plus aucune valeur alors que c’était pourtant toujours la même chose sur laquelle je m’étais émerveillée, mais simplement dans un autre état.
J’ai mis toutes ces petites particules sur une coupelle avec des fleurs séchées, qui elles aussi avaient traversé le passage cruel de l’impermanence depuis la retraite où elles avaient été cueillies fraîches mais n’en sont pour autant pas rendues je crois à l’état de mort auquel on les réduit souvent ; bien au contraire, elles n’en sont en fait peut-être que plus vivantes pour qui sait les apprécier comme telles.
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Et à nouveau le temps a passé… Il faut du temps parfois… Souvent même…
Et un jour, pratiquant tout juste face au bureau sur lequel est posée la coupelle devenue malgré moi et malgré elle (car il n’y avait là rien d’intentionnel) pourrait-on dire une sorte d’autel, je me suis arrêtée. Tout net.
Un éclair venait de me traverser :
En fait, ces coquillages n’ont jamais étaient aussi unis qu’ils le sont désormais : brisés en mille morceaux (et non plus seulement découpés en deux parties reliées), mais ne formant plus qu’un tout maintenant inséparable. Passant de distinguable à indistinct. Abandonnant ce qu’ils étaient pour s’abandonner à ce qu’ils sont et à ce qui est. Et – ainsi – brisés, ils n’ont en réalité jamais étaient aussi Entier.
Il n’y a là plus de « deux qui ne font qu’un ». Il n’existe à présent plus rien d’autre que l’ « Un ». Et un « Un » qui ne peut plus être brisé puisqu’il est maintenant, dans sa multiplicité, plus entier que jamais.
Résultat de sa vulnérabilité, ayant consenti à connaître le chaos sans lutter par peur d’être cassée par la dissolution (ou la dislocation) d’un lien considéré comme fragile et à protéger, chaque partie fondue dans le Tout, sans prétendre s’en détacher (ou s’y attacher), manifeste ainsi l’œuvre de l’Éternité.
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Illustration : Ardhanarishvara, Shiva-Shakti ne faisant qu’Un
Oh merci pour toutes tes pensées qui me sont aujourd’hui ( comme très souvent ) très pertinentes…
Je suis divorcée aujourd’hui et cette pensée que la désunion mene au tout est tellement vraie.je me sens très reliée alors que je suis divorcée. Nos vies sont séparées mais il reste le lien ultime de la vie. Om shantis.
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Oui Carole ! L’Unité ! Namaste
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