Yoga, état en processus

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La définition souvent apportée pour « Yoga » est la suivante :

योगश्चित्तवृत्तिनिरोधः / yogaś-citta-vr̥tti-nirodhaḥ (Yoga-Sutra I.2)

Lors de ma formation, elle m’avait été donnée traduite ainsi : « Le yoga : des fluctuations de l’esprit la transcendance. » avec pour précision « Yoga = état de transcendance, arrêt total de toute fluctuation mentale. »

Autant être franche, traduite ainsi, cette définition ne m’avait pas vraiment convaincue et elle ne m’a jamais vraiment convenue.

Elle (je parle de la traduction, pas de l’aphorisme en sanskrit qui est par essence, la preuve en est, intraduisible) m’a toujours semblée simpliste et source de confusion, de projections et d’illusion.

Elle revient à braquer les projecteurs sur un état qui, une fois atteint : « Stop ! Arrêtons tout, que tout demeure ainsi figé ! », plutôt que de mettre en lumière le processus – vivant – à l’œuvre à tout instant dans lequel, si rien n’est inné, rien n’est jamais définitivement acquis non plus.

Or, la pratique du Yoga est bien le processus conscient et constant, entamé par le pratiquant, de désidentification au mouvement incessant des pensées changeantes qui peuvent agiter son esprit, mais aussi des émotions troublantes qui peuvent ébranler son cœur et des formes fluctuantes qui peuvent modeler son corps.

Et ce processus est on ne peut plus vivant dans la mesure où il demande des ajustements et des actualisations à chaque instant, tout étant en nous et autour de nous en perpétuel changement.

C’est en fait une déconstruction de tout ce que nous croyons en permanence à propos de nous-même, mais aussi – par extension – des autres, des choses, du monde, de tout… : « Je suis ceci, je suis cela », alors qu’en fait dès que l’on croit avoir réussi à saisir ce fameux « je », hop il a déjà bougé, changé, mué et l’identité étiquetée est ainsi déjà périmée ; et il en va de même pour toutes les autres personnes et toutes les autres choses que notre mental cherche à capter.

Ainsi, « Yoga » est l’état dans lequel le pratiquant, une fois désidentifié de tout ce qui n’est pas lui – autrement dit : libéré de son ego – peut s’établir alors dans ce lieu toujours stable et paisible, au coeur de lui-même, dans la réelle connaissance de sa nature profonde, dans l’authentique présence au vaste univers non-limité (car désidentifié) qu’il incarne en lui.

En quelque sorte, lorsqu’il ne reste plus rien, Tout peut alors exister.

Néanmoins, cet état ne vient pas comme par magie du jour au lendemain. Il serait même dangereux et surtout peu formateur qu’il en soit ainsi. D’où la nécessité, à mon sens, d’éclairer bien davantage le processus que l’état (de Yoga, ou d’Eveil).

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Non, non, ça ne viendra pas par miracle, ailleurs, un jour, peut-être ; c’est en fait déjà là, maintenant, en Soi 😉

C’est vrai qu’il y a en effet souvent cette attente latente que subitement un jour béni, ça y est, tout est aligné et parfaitement parfait. Corps, coeur, esprit et univers tout entier ayant signé un contrat de paix pour l’éternité. Plus l’once d’une ombre de souffrance comme si celle-ci n’avait jamais même existé. La délivrance d’être libéré de toutes les prisons dont l’on se fait soi-même le geôlier. Lumière allumée clignotant à tous les chakras comme si c’était Noël même en été.

Une transformation grandiose. Avec fanfare bruyante de chants sanskrits ou grégoriens. Tapis rouge ou de yoga pavé de centaines d’anges ailés ou de divinités équipées de bien plus de bras qu’il en faudrait. Et un feu d’artifice couvant entre les cuisses et jaillissant en auréole comme une couronne sacrant la royale divinité enfin accouchée de l’abîme boueuse de soi-même.

Mais en réalité, ce qu’il en est, est à chaque instant d’actualité. Dans l’ascension et dans la chute. Dans l’apogée et dans le chaos. Dans le tout et dans le rien. A la surface et en profondeur. En dehors et en dedans. Partout et nulle part.

Dans le silence du coeur et le bruit de l’esprit – Nul besoin que le premier claironne et que le second soit baillonné, c’est à la fois dans le calme et le bordel que l’oeuvre se crée.

Ici où ça se voit, ça s’entend et se ressent mais aussi surtout là où il semble désespérément que rien ne se passe… alors que pourtant… – Le plus spectaculaire se trame toujours en coulisse, dans le discret secret qu’aucun oeil, qu’aucune oreille ne serait en mesure de discerner.

Rien n’est à précipiter, à guetter ou même à espérer.
L’avènement n’est ni à atteindre ni en devenir.
C’est dans le processus inachevé que la merveille est intimement et incessamment révélée.

Car toute notre beauté vient du fait que nous sommes une oeuvre inachevée, un être non-abouti, et à lui seul insuffisant et imparfait.
Nous n’avons pas été créés pour être des génies intouchables et inébranlables. Nous avons été créés pour apprendre à continuer à l’être en permanence.
Nous ne sommes pas un objet taillé dans le marbre auquel il ne faudrait surtout pas toucher pour ne pas l’abîmer. Nous sommes matière mouvante, émouvante, en une perpétuelle création destinée à nous révéler.

Nous sommes des apprentis en processus, à chaque instant sculptés par l’espace et le temps, par les coups de la foudre et les rayons du soleil, par les mains qui nous empoignent et par celles qui nous caressent, par ce qui nous détruit et ce qui nous construit, et surtout par tout ce qui relie et unit – avec Amour – en un même Tout plein d’harmonie tous les petits morceaux de nous perdus dans leur chaos.

Toute notre valeur tient au fait que celle-ci est illimitée et tout – chaque sensation, chaque émotion, chaque pensée, chaque expérience, chaque rencontre – tout ce qui est à vivre contribue, si on l’autorise, à faire de nous l’être éveillé – en Yoga – que nous sommes déjà.

En effet, tant que l’on croit que l’état est à atteindre, cela revient alors à chercher ce que nous n’avons en fait même pas besoin de trouver car cet état – toujours en processus – nous y sommes en réalité toujours déjà.


Illustration : « Creatrix », Auna Salomé

Image animée (Sherchle) : Yogi élu « yogi éveillé de l’année » par les extraterrestres. Youhou ! Trop la chance ! 😀