Ces dernières semaines, je ne sais pas pourquoi, je reçois beaucoup de courriels me demandant systématiquement de quel niveau sont les cours de yoga que je donne, si je donne des cours de niveau avancé, si le cours de tel jour telle heure convient pour les pratiquant.e.s de niveau intermédiaire, etcetera, etcetera. C’est la première fois en douze ans que je reçois ce genre de question concernant le « niveau » de mes cours. Et, pour être franche, elle me déconcerte. Jusque là tout au plus on me demandait, presque en s’excusant, si on pouvait venir même si on n’avait jamais fait de yoga. Une inquiétude que je peux comprendre car cela peut être intimidant de faire ses premiers pas dans une pratique. Mais là, quelque chose m’échappe. Qu’est-ce que c’est que cette histoire de niveau en yoga ?
Si l’on demande de quel niveau est un cours c’est, je suppose, parce que l’on croit connaître de quel niveau on est, dans le souci de savoir si le cours sera adapté à son niveau. Mais comment peut-on identifier quel niveau on a en yoga ? Y aurait-il un test d’évaluation dont je n’ai jamais entendu parler ? Où se trouve-t-il ? Dans Yoga magazine ? Qui décide de ça ? La police du yoga ? L’assemblée universitaire affectant tel.le ou tel.le élève dans telle ou telle classe suite à appréciation de son contrôle continu ? Le comité international des fédérations associées militant pour la reconnaissance du yoga comme sport olympique ? Tant de questions suspendues…
Il y a quelques années, j’avais publié ici un texte à propos de la notion de progression en yoga que j’avais écrit suite à un mail reçu par un élève m’interrogeant à ce sujet. Il me semble que ce qui anime l’intérêt pour cette notion de progression est du même ordre que ce qui suscite les préoccupations relatives à cette notion de niveau. Pour éviter de le paraphraser, je renvoie donc à la lecture de ce texte à retrouver ici : La délicate question de la progression en Yoga…
Ce qui est intéressant c’est que, alors que jusqu’à présent je recevais uniquement les questionnements de personnes n’ayant encore jamais pratiqué craignant que ce soit « trop difficile » et de « ne pas réussir à suivre », depuis ces dernières semaines il semble que l’on s’adresse à moi en s’inquiétant plutôt de savoir si le niveau est « assez élevé », « pour ne pas s’ennuyer », « pour pouvoir progresser ».
Au-delà du fait que la notion de progression (et donc de niveau) en yoga reste pour moi quelque chose de très abscons dans la mesure où cela est forcément lié d’une certaine façon à une forme d’évaluation et donc de comparaison qui me semble être bien davantage un obstacle qu’un guide sur la voie du yoga, il y a aussi que le cours dépend certes de qui le donne, mais aussi de qui y vient (et puis d’autre chose aussi qui ne dépend ni de qui le donne ni de qui y vient mais ça, c’est tellement mystérieux qu’il serait bien impossible d’en parler). On ne peut savoir à l’avance qui viendra et encore moins dans quel état ces « qui » viendront. Décréter alors que tel cours est prétendument de tel « niveau » n’aurait-il pas quelque chose d’enfermant ? N’est-on pas toujours en quelque sorte à différents niveaux… je veux dire… à différents niveaux de réceptivité… et que cela n’est jamais figé comme une sorte de level atteint qui permettrait d’aller au suivant comme une sorte d’acquis une fois pour toute alors que nos besoins, nos limites, nos désirs sont fluctuants par le simple fait que nous soyons vivant.e.s ?
Peut-on évaluer de façon scolaire de quel niveau on est et se fixer des objectifs de niveau vers lequel aller ? Qu’y a-t-il après le niveau avancé ? Est-ce déjà ça le sommet ? A quoi bon continuer à pratiquer dans ce cas ? Faut-il établir une sorte de calendrier de progression sur l’année comme on dresserait un business plan pour pouvoir contrôler la marge de progression vers nos ambitions ? Quelles ambitions au juste ? Quelle part reste-t-il alors pour la surprise, pour la magie dans la rencontre avec la pratique, avec soi, avec le prof, avec les autres pratiquant.e.s, avec la vie elle-même ?
Je n’ai pas de cours par niveau dans la mesure où je n’en comprends pas le sens. Rien que l’idée me dérange. Si je commence à classer les gens qui viennent à mes cours par niveau, à quel niveau cela voudrait-il dire que je me place par rapport à eux ?
Chacun.e a toujours été et est toujours accueilli.e et intégré.e tel.le qu’il/elle arrive et tout le monde s’y retrouve toujours. Lorsque l’on donne un cours, même si on donne un seul et même cours pour l’ensemble des pratiquant.e.s, il y a en réalité autant de cours que de personnes présentes, chacun.e le recevant différemment, avec sa propre sensibilité, selon ses propres références, avec son propre entendement, son propre corps, etc. C’est aussi cela qui amène chacun.e à être nourri.e en réalité bien davantage à partir de la source siégeant – trônant même ! – au coeur de lui/d’elle-même qu’à partir de quoi / de qui que ce soit d’autre, le prof n’ayant rien d’autre pour rôle que d’accompagner jusqu’à soi.
Lorsque je reçois ces mails concernant cette histoire de niveau, si je donne des cours de niveau avancé ou que sais-je encore, ça m’interpelle. Je ne sais pas d’où vient cette préoccupation, de quel espace en l’autre ça prend naissance, mais ce que je sens, et qui vient confirmer un ressenti qui m’accompagne depuis maintenant quelques années, c’est que nous avons tellement à apprendre de tout ce que nous avons à désapprendre.
De l’autre côté de ce que l’on croit déjà savoir et de tout ce que l’on voudrait savoir, il y a le simple don de la présence et… notre abandon à cette simplicité.
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A (re)lire également (entre autres) :
- La délicate question de la progression en Yoga…
- La transcendance dans l’immanence – L’Éveil à la simplicité
- « Toute une vie ne suffit pas pour désapprendre » – Henri Michaux
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Illustration : Sandrine Deloffre
Yoga Sésâme 