
Il existe un bon nombre de postures dans lesquelles nous sommes amené.e.s à attraper avec les doigts ou la main un orteil, un pied, une cheville, un poignet, une cuisse, un mollet, …
Il y a diverses raisons et intentions à cela, notamment d’ordre énergétique. Mais je ne développerai pas ici à ce sujet. Si l’on s’y intéresse, en cherchant on peut probablement trouver des ressources ailleurs qui le traitent sans doute bien mieux que je ne le ferai.
Attraper, saisir, tenir…
et respirer…
puis libérer…
Est-ce que l’attention peut être de la même qualité sur le chemin « aller », durant le temps où l’on y est et sur le chemin « retour » ?
Souvent le chemin « vers » requiert une grande concentration soutenue par ce qui peut apparaître comme un point à atteindre à tel point que pour ainsi dire, à part ce point, tout tend à disparaître, comme si à part ça plus rien n’existait.
L’attention ainsi arrimée, la dispersion et le parasitage viennent la plupart du temps à céder. Et même si la trêve n’a qu’un temps, elle peut laisser en nous un doux parfum d’éternité.
Mais une fois là où l’on se croit être arrivé.e.s, qu’en est-il alors que cette fin apparemment atteinte est en fait là où tout peut commencer ?
Une fois établi.e.s dans la posture tenue, dans la saisie, que se joue-t-il en nous ?
Que peut-on observer ? Peut-on vraiment s’y laisser respirer ? S’y repose-t-on ? S’y accroche-t-on, appréhendant le moment de séparation ? S’y ennuie-t-on, à deux doigts de compter les moutons plutôt que les respirations ? S’extrait-on de là où l’on est, c’est-à-dire de soi-là-maintenant, pour se projeter dans un je-ne-sais-où-et-quand qui semble plus intéressant ou plus angoissant ? Où est-on quand on est partout sauf là où l’on est alors même que ce que l’on a saisit et que l’on tient fait pourtant office d’ancre pour nous éviter de naufrager ?
Parce que oui, chaque fois que l’on divague, on peut revenir à ce point de contact concret auquel nous relier, pas juste à lui, mais plus globalement à nous, à soi. À Soi qui sait !
Et si on y est connecté.e, les vagues respiratoires nous y ramènent chaque fois que l’on s’en éloigne. Voyage immobile. Stabilité rencontrée au cœur du mouvement constant.
Et puis… et puis vient le temps de la dessaisie sans lequel l’expérimentation serait incomplète.
Comment (se) quitte-t-on ? Dans la précipitation, bondissant déjà sur la prochaine saisie qui nous attend raccourcissant ainsi du mieux qu’on peut le temps de « vide », de transition, de deuil de ce qui a été lâché, de ce que nous avons lâché, de ce qui nous a lâché ? Dans la négligence de la plénitude de se retrouver mains libres après les avoir senties occupées ? Que faire de tout ce vaste infini si libre qu’il nous met peut-être mal à l’aise au point de vouloir bien vite s’en débarrasser plutôt que de se laisser le goûter vraiment, papilles, pupilles et écoutilles ouvertes à ce qu’il a à nous nourrir, à nous montrer et à nous dire ?
Peut-on aller, être, revenir avec le même soin, certes peut-être différent mais dans cette qualité de présence qui annihile toute hiérarchie dans ce qui nous est offert gracieusement de vivre ?
Saisir, dessaisir, habiter pleinement entre-deux les interfaces de plein et de vide. Poumons. Corps. Cœur. Esprit. Ce qui se remplit, ce qui est plein de lui-même, ce qui se vide, ce qui est vide de lui-même pour laisser l’espace vacant à tout ce qui peut transparaître une fois libéré.e.s de tout ce à quoi on s’attache et s’identifie en soi et qui souvent, loin de nous remplir, nous atrophie.
Se révéler alors à l’infini entre les mains duquel nous abandonner, mesurant avec le même respect l’aisance ou la résistance dans cet abandon qui s’il était forcé n’en serait pas un, là où l’on peut se laisser être reçu.e.s sans jamais être retenu.e.s.
Libres. Infiniment libres.
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Illustration : Jean Colombe, 1470