Nataraja VS avidya – Nourrir le discernement en dansant

Depuis une petite dizaine de jours, les matins où le ciel est suffisamment clair pour y voir le soleil (autant dire que ça n’est pas tous les jours…), il y a, alors que je me dédie à ma pratique, ce moment précis où un rayon de lumière se pose exactement en couloir sur cette statuette miniature en bois de santal que j’avais ramenée d’Inde il y aura huit ans.

Mercredi, sans l’avoir prémédité, je me trouvais justement en Natarajāsana au moment où le phénomène se produisit et, sans le vouloir toujours, établie dans la posture, mon regard se posa sur la statuette éclairée qui, de fait, me fit office de drishti.

Une fois quitté l’absorption dans la contemplation non seulement du souffle dans la posture et en plus de ce petit Shiva miroir face à moi, il m’est venu d’aller le prendre en photo (celle partagée ci-dessus).

Et quelle ne fût alors pas ma stupéfaction en constatant pour la première fois qu’il y était représenté Apasmārapurusa ! En près de huit ans à voir quotidiennement cette statuette, ne l’ayant jamais regardée sous cet angle (de haut, en plongée donc), je ne l’avais encore jamais remarqué. Je croyais la connaître mais je ne m’y étais en réalité pas encore complètement plongée, ce qui montre bien d’ailleurs que même ce que l’on croit bien connaître a encore toujours des secrets à nous révéler…

Apasmārapurusa c’est le nain démoniaque, allégorie de l’ignorance (avidya), écrasé sous le pied droit de Shiva sous sa forme Nataraja, c’est-à-dire engagé dans sa danse cosmique (tandava) vouée à préserver l’équilibre du monde qui dépend de la maîtrise de l’ignorance permettant la connaissance.

*

Cela m’offrit dès lors un objet (en fait plusieurs…) de méditation fort intéressant.

Voit-on toujours l’ignorance ? Ne nous est-elle pas le plus souvent (si ce n’est toujours) cachée, ce qui en fait précisément par définition l’ignorance, c’est-à-dire ce que l’on ne voit pas, ce que l’on n’entend pas, ce que l’on ne sent pas, ce que l’on ne sait pas, ce dont on n’a pas conscience, ce qui n’a pas (encore) été éclairé par le hasard d’un rayon de soleil qui la dévoile et/ou par la qualité d’attention dans laquelle nous nous disposons (par exemple en changeant notre angle d’observation) et qui nous permet dès lors de la débusquer ?

Et puis… une fois rendus là, l’ignorance l’est-elle encore une fois qu’on l’a discernée ? Juste s’en apercevoir nous permet-il déjà de s’en libérer ? Ou… la voir n’est-il que la première étape de tout un processus de déconstruction nous permettant peu à peu de nous en dessaisir, de nous dégager de son emprise pour en retrouver la maîtrise (symbolisée par le pied droit de Shiva) et donc se rapprocher de la lumière de la connaissance qui, chaque fois que l’on croit la détenir, nous échappe toujours, nous invitant ainsi à ne jamais nous imaginer détenir une fois pour toute la vérité et donc à continuer à nous dédier à sa quête ?

*

Shiva Nataraja n’est pas toujours représenté avec Apasmārapurusa écrasé sous son pied droit, il y a parfois des représentations dans lesquelles il n’y est pas. Pourtant, ces dernières sont incomplètes. L’ignorance a besoin d’être vue et, non seulement vue, mais aussi vue maîtrisée.

On pourrait très bien se dire que si on ne la voit plus c’est qu’elle a été exterminée par Shiva et qu’il n’est donc plus nécessaire de s’en soucier. Mais Apasmārapurusa est immortel, ce qui signifie que si on ne le voit pas piétiné c’est qu’il est agissant d’une façon encore plus insidieuse car invisible, ce serait alors lui qui nous maîtrise. Ainsi, l’ignorance a un rôle à jouer : elle doit être vue pour pouvoir être maîtrisée, sans cela c’est nous qui continuons sans le savoir à être son jouet.

Combien de fois croyons-nous détenir la vérité, établi.e.s dès lors dans ce confort où, celle-ci crue détenue, nous pouvons cesser là de questionner, de réfléchir, d’explorer, d’expérimenter ? N’y a-t-il pas plus sombre ignorance que là où l’on croit s’en être libéré.e, là où l’on croit la quête arrêtée, le but – s’il en est un – atteint ?

Pour autant, il est aussi important de nous rappeler, et Shiva nous le rappelle bien, que cette quête n’est pas forcément une lutte, laborieuse, périlleuse, éprouvante, exténuante… Il danse. Oui. Il danse. La maîtrise qu’il accomplit, il la réalise en dansant. La puissance recrutée pour maîtriser l’ignorance peut émaner de la légèreté, de la joie. Pas obligé de froncer les sourcils et de serrer les dents pour pratiquer Natarajāsana par exemple, ça ne sera pas plus facile. Ramener de la douceur n’empêche pas la vigueur. Au contraire.

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Alors, continuer à nourrir le discernement, oui, mais ne pas oublier aussi de danser.

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Photo personnelle prise mercredi 19/4/2023


2 réflexions sur “Nataraja VS avidya – Nourrir le discernement en dansant

  1. N’est ce pas lorsque je vois mon ignorance que je fais l’expérience du discernement ? Lorsque je vois mon arrogance que je fais l’expérience de l’humilité ?Faut il maîtriser l’ignorance et l’arrogance? Ne peut on pas leur sourire ? Merci pour vos textes, vos réflexions, votre authenticité et votre humour aussi. A bientôt,  Valérie

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