Un jour – autour du 1er mars 2014 et aux alentours de Haridwar si l’on tient à dater et à situer – un ami indien m’a expliqué qu’en Inde, il suffit que quelqu’un décide qu’un quelconque caillou soit sacré, qu’il le pose alors au pied d’un arbre tout aussi quelconque a priori mais qu’il décide également de son plein gré d’élever au rang de sacré, qu’il s’assied ensuite solennellement face à ce même caillou posé à même les racines de ce même arbre, puis qu’il ferme les yeux d’un air tout à fait absorbé et, qu’avec la plus convaincante des convictions, il se mette à psalmodier toute une litanie de noms de divinités pour que, en moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, il soit rejoint par tout un tas d’autres personnes aussitôt converties et investies d’une foi inébranlable dans le caractère sacré de ce divin caillou qui n’était pourtant qu’un vulgaire caillou avant que quelqu’un décide de le ramasser et de lui faire incarner les vertus les plus spirituelles que l’on pourrait imaginer.
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C’est une anecdote à laquelle je repense presque quotidiennement et qui trouve aussi en quelque sorte écho dans ce proverbe japonais illustré sur cette carte offerte par mon amie Julie, praticienne en shiatsu : « On peut aussi bien prier une écrevisse, ce n’est qu’une question de foi. »
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Autrement dit, le caractère sacré de toute chose n’est là que là où l’on décide – oui ! que l’on décide ! – de le reconnaître.
Et là où nous pouvons en premier aller à la rencontre du sacré c’est nulle part ailleurs et en rien d’autre qu’en nous-même. Si nous ne pouvons l’y trouver là, où et en quoi alors ?
Si l’on se perçoit soi-même comme un vulgaire caillou, il ne faut alors pas être étonné que l’on nous marche dessus, que l’on nous tape dedans du bout du pied, que l’on nous maudisse de nous être glissé pourtant involontairement dans une chaussure ou que l’on nous jette joyeusement à l’eau pour voir combien de temps l’on va bien pouvoir faire des ricochets avant de finalement nous noyer.
On peut aussi décider dès maintenant – oui ! là, maintenant ! – de nous percevoir comme un divin bijou à honorer et à chérir qui mérite de vivre dans le plus bel écrin où il pourra dès lors pleinement briller de ses mille feux jaillis tout droit du centre de son Coeur au sein duquel palpite l’Amour sacré qui a su révéler au simple caillou qu’il se croyait être sa nature de diamant qu’il est en fait vraiment…
Loin de se faire une idole de soi-même à encenser et à vénérer, ce qui serait du ressort de l’ignorance idéalisée qui nous éloigne du coeur de nous-même à mesure où nous croyons illusoirement nous en rapprocher…
… Reconnaître le sacré incarné que nous sommes et l’honorer n’est rien d’autre que reconnaître toute la beauté et toute la valeur, donc tout l’amour présents en soi et que dès lors nous devenons de plus en plus à même de reconnaître en tout et en chacun par la grâce de notre simple attention.
Et toutes les postures de yoga ou de dévotion peuvent parfois rester une vaine mécanique automatisée ou ritualisée si toute la profondeur de notre être ne parvient pas à s’investir avec une réelle sincérité, qui oui relève pourrait-on dire de la foi. La foi en la précieuse sagesse toujours-là qui est à accueillir partout où l’on peut se recueillir dans la gratitude de l’avoir discernée.
Que ce soit en Soi, en Ça, en moi, en toi et même en n’importe quoi, quand bien même ça ne ressemble à première vue qu’à un quelconque caillou. 🙂
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Photo d’illustration : Sous la bénédiction d’un Shiva Nataraja en bois de santal, se trouve au centre à première vue un vulgaire caillou mais qui s’avère en fait être un authentique rubis non taillé (provenance : Karnataka, Inde).