
Si la pratique en cours collectifs a ceci d’intéressant que nous pouvons y vivre l’opportunité de conjuguer la singularité de notre expérience à celle – toute aussi singulière – de chacune des autres personnes présentes avec lesquelles nous la partageons, dans un espace-temps commun, guidé.e.s par une seule et même voix (celle de celui ou celle qui guide la séance) qui prend pourtant en chacune et chacun une résonance personnelle trouvant écho à la sensibilité et à la réceptivité qui sont siennes à ce moment là…
… Cette pratique en cours collectifs peut néanmoins parfois s’avérer constituer une sorte d’empêchement à l’approfondissement de ce qui nous est donné de rencontrer en nous-même à travers la pratique.
Combien de fois j’entends « je n’arrive pas à pratiquer seul.e chez moi », « pratiquer avec les autres, c’est plus motivant », « s’il n’y a pas ta voix pour me guider, je ne sais pas quoi faire, je suis perdu.e », ou toute autre variation que peut prendre ce même constat : en dehors des cours collectifs (en moyenne un par semaine), la grande majorité des pratiquant.e.s ne pratique en fait pas du tout.
Et ça n’est cependant pas faute de ma part de militer depuis toujours pour une pratique déconditionnée de tout ce à quoi elle a tendance à être attachée (tous les textes rassemblés sur ce site en sont témoins, la manière dont je me dédie à transmettre dans mes cours aussi).
En effet, pour avoir moi-même commencé à pratiquer le yoga il y a plus de vingt ans avec 2-3 cours particuliers qui ont initié d’emblée une pratique autonome seule chez moi qui n’a jamais cessé de m’accompagner (et à laquelle se sont ajoutées seulement plusieurs années plus tard mes participations ponctuelles à quelques cours collectifs), je ne sais que trop bien que l’essentiel de ce qui se joue dans la pratique c’est ce qui se vit là où celle-ci ne dépend de rien ni de personne, ni d’un lieu, ni d’un.e prof, ni d’autres participant.e.s, ni de tel ou tel matériel, ni même de telle ou telle condition physique, émotionnelle, économique, sociale, ou autre.

Qu’ainsi, lorsque l’un ou plusieurs de ces paramètres vient à manquer, est-ce que la pratique, elle, peut quoi qu’il en soit continuer à être ce à quoi nous pouvons nous ressourcer ?
Juste soi avec Soi. Personne d’autre pour témoin de cette rencontre.
Rien de plus. Rien de moins non plus. Tel quel.
Qu’y aurait-il d’autre à ajouter qui ne soit pas d’une façon ou d’une autre une forme de contournement de l’essentiel quand bien même ça se présenterait comme facilitateur/trice ou peu importe le nom qu’on cherche encore à lui fabriquer ?
Entendons-nous bien, je ne suis pas en train de dire à travers ce discours qu’il faut arrêter les cours collectifs, que ça ne sert à rien, ou que sais-je encore hein.
C’est navrant d’avoir à le préciser mais sachant bien que les propos émis ont si vite fait d’être déformés, je préfère me prémunir de ce type d’interprétations qui pourraient être données à ma position ici.
Je considère bien évidemment que pratiquer en cours collectifs avec des enseignant.e.s bien formé.e.s et intègres – chose qui semble encore cruciale de spécifier – a tout son sens et son intérêt.
Outre le fait que cela représente l’opportunité de vivre des interactions avec d’autres personnes autour de la pratique (et pas seulement à ce sujet d’ailleurs, les échanges avant et après séances pouvant bien sûr largement déborder de ce qui se passe sur le tapis), c’est aussi l’occasion de juste se laisser être guidé.e, de découvrir de nouvelles façons de pratiquer, de recevoir un regard extérieur sur les angles morts que l’on peut avoir sur nous-même (ce qui est fondamental !), et cette liste est probablement non exhaustive.
Toutefois, il est primordial d’être au clair sur le fait que, quelle que soit la pratique, si celle-ci n’amène pas à mesurer et à assumer nos responsabilités dans chacune des dimensions de notre vie, à développer pour ce faire autonomie et intégrité dans l’exploration, l’introspection, l’intégration et l’adaptation continues que cela requiert, alors la libération promise ne peut être que partielle au mieux, illusoire au pire.

Et cela, c’est essentiellement à travers le miroir d’une pratique vécue dans le laboratoire de notre propre relation à nous-même (et donc indirectement aussi au-delà) que nous pouvons nous donner à être à la fois sujet qui étudie, objet étudié et étude elle-même, tout ceci indépendamment de ce qui pourrait interférer là-dedans (la voix d’un.e enseignant.e, son contact tactile éventuel ; les mouvements et les sons des autres personnes ; etcetera).
Si l’on apprend à pratiquer seul.e, sans qui ni quoi que ce soit, nous ne pouvons ainsi qu’approfondir et optimiser notre capacité à laisser la pratique infuser dans toutes les autres dimensions de notre vie qui ne sont a priori pas étiquetées comme étant de la pratique, alors que…
En somme : pratique continue ! (plutôt que parenthèse plus ou moins enchantée d’une heure par semaine qui, même si c’est déjà ça, ne peut que tôt ou tard montrer ses limites).
Soit ! C’est bien gentil mais comment la développer cette autonomie, cette aptitude à pratiquer par soi-même, ainsi que la motivation, voire même la dévotion que cela implique ?
Alors déjà, même si cela va à l’encontre de la majorité des discours sur le yoga énoncés ces dernières années : relativiser. Car ce qui peut potentiellement amener à risquer de « mal pratiquer » (d’où ça sort ça encore ?) c’est surtout l’exposition aux injonctions à ce que devrait être « LA bonne pratique » et donc à tous les jugements et inquiétudes que cela peut générer.
Soyons clairs : tout argumentaire construit pour nous amener – même implicitement – à douter de nous-même de telle sorte que l’on ressente comme impératif, voire urgent, le besoin de quelqu’un pour nous dire ce que l’on devrait faire et être (même si on nous le présente comme allant pour notre bien), rappelons-nous que cet argumentaire est avant tout dressé au bénéfice de celui/celle qui le proclame plutôt qu’au profit de celui/celle à qui il est adressé.
S’il faut encore le rappeler : personne d’autre que nous-même n’est censé mieux nous connaître que nous-même et quiconque prétend mieux savoir que nous ce qui est bon pour nous ferait sans aucun doute mieux de se préoccuper de son propre cas, même si c’est certes probablement moins rentable financièrement et narcissiquement. (Non mais !)

Bon, ceci dit, pour revenir à notre sujet : souvenons-nous autant qu’il nous est nécessaire de nous en souvenir que la pratique est avant tout de l’exploration, de la découverte, de la rencontre, sans présupposer quoi que ce soit : que sommes-nous en cet instant ?
Il n’y a rien à performer, rien à imiter, rien à reproduire, rien à maquiller, rien à éliminer, rien à conquérir. Les « il faudrait », les « on devrait » peuvent être relâchés. Et, dans la mesure où elles peuvent ajouter de la tension, même les ambitions de relâcher et de détendre peuvent être abdiquées.
On est là pour juste être là. Et ça se suffit à soi-même. Parce qu’on a oublié, parce que dans la plupart des sphères de notre vie on est la plupart du temps ailleurs, absent.e.s à la Présence, vivant.e.s sans l’être vraiment.
La pratique n’est là que pour faire office de projecteur pour ce que nous ne voyons pas sans cela, de haut-parleur pour ce que nous n’entendons pas sans cela, de révélateur pour ce que nous ne ressentons pas sans cela.
Donner l’opportunité sans obliger, favoriser les conditions sans imposer.
Être là sans interférer sur ce qui est prêt à transparaître.
Voilà.
Et tout ceci est rendu possible grâce au juste équilibre qui, à l’occasion de la pratique, sans cesse se cherche et se trouve : entre rigueur sécurisante et douceur apaisante, fermeté protectrice et légèreté libératrice, exigence soutenante et indulgence pacifiante.
Car, si pour éviter de devenir aliénante, l’austérité de la discipline nécessite d’être tempérée par une forme de délicatesse dans laquelle pouvoir se déposer ; de la même manière, pour éviter de devenir infantilisante, la bienveillance réclame aussi d’être harmonisée par une forme de rectitude dans laquelle s’élever.
Horizontalité ET verticalité.
Dès l’instant où l’un se vivrait au détriment – voire à l’exclusion – de l’autre, l’expérience ne ferait qu’accroître le(s) déséquilibre(s) que l’on tentait par elle d’atténuer. Le remède a si tôt fait de devenir poison faute de discernement…

Pour résumer : sans découragement, sans acharnement non plus, embrasser à la fois toute l’étendue et la petitesse de ce que l’on est ; à la fois dans un émerveillement qui rend humble et une humilité qui émerveille, reconnaître être à la fois tout ET rien ; ce qui paraît être loin soudain se révèle être près et ce qui semble être près dès lors s’avère être loin ; toucher ce qui jusque là nous échappait et concomitamment laisser se dérober ce que l’on croyait avoir saisi ; quête de toute une vie et puisqu’une seule vie ne suffira probablement pas, quête libre de toute tension exacerbée qui ne ferait que l’empêtrer : un pas à la fois.
Pour accompagner ce pas-à-pas, cette exploration qui peut être aussi passionnante qu’intimidante parfois, même si – comme je l’ai explicité tout au long de ce texte – une présence extérieure n’est pas indispensable, si l’on en ressent néanmoins le besoin ou/et l’envie, c’est là où le cours particulier peut prendre tout son sens.
Parce qu’il n’est pas toujours évident de partir de zéro ou presque, avec l’horizon si vaste que l’on ne sait parfois ni où ni comment trouver une orientation à partir de laquelle nous pourrons nous donner l’opportunité d’aller à la rencontre de ce qui n’attend rien d’autre que notre disponibilité pour se présenter à la lumière de notre conscience qui, en éclairant, se trouve éclairée.
Il ne s’agit pas de se remettre aveuglément entre les mains de qui que ce soit (d’autant que : « si un aveugle qui ne sait pas l’être conduit un autre aveugle, ils tomberont tous deux dans la fosse » – Matthieu 15:14).
Juste se permettre de bénéficier de l’expérience propre d’une autre personne en chemin pour initier des pistes à partir desquelles tracer et affiner la carte du territoire qui nous est donné d’explorer et que, quoi qu’il en soit, nous serons seul.e.s à parcourir et à intégrer.
Un seul-ensemble dans lequel en recevant, on donne et en donnant, on reçoit ; en étant élevé, on élève et en élevant, on est élevé ; en plongeant dans notre intériorité, on s’ouvre à l’altérité et en plongeant dans l’altérité, on s’ouvre à notre intériorité ; etcetera.

Au fond, non pas par cela se fier à quelqu’un qui serait le/la sachant.e nous laissant dans la position somme toute restreinte de simple exécutant.e, mais plutôt apprendre à tisser ensemble la trame de ce qui deviendra une pratique que l’on peut pleinement s’approprier, dans laquelle l’on peut être son propre professeur et ainsi à tout instant pouvoir pratiquer, indépendamment de qui et de quoi que ce soit.
Bref.
Ceci n’est pas un message publicitaire : je crois sincèrement que chacune et chacun aura fondamentalement tout à gagner à devenir suffisamment autonome pour ne plus avoir besoin de cours particuliers (ce qui n’empêche pas l’envie d’y revenir parfois).
Ceci n’est pas un message publicitaire ; c’est juste une invitation à qui souhaite un élan dans l’exploration de sa pratique personnelle : si le cœur vous en dit d’œuvrer un peu ensemble, tout comme d’autres personnes peuvent être disponibles pour cela, je suis là : Cours particuliers / Contact
Voilà.
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Illustration 1 : Sanae Sugimoto, Vasishtāsana – Entre terre et ciel, de soi à Soi
Illustration 2 : Owen Gent, Incarner l’Esprit et la Lumière
Illustration 3 : Moonassi, Balāsana – Être à la fois pratiquant.e, pratiqué.e et pratique elle-même
Illustration 4 : Harry Bliss, Guru chakra
Illustration 5 : Owen Gent, Sukhāsana – Pas-à-pas dans l’assise (et dans toute autre posture aussi)
Illustration 6 : Hollie Miller, Tadāsana – Pas-à-pas qui à la fois stabilise et élève