Samtosha, le choix du Contentement

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« Celui qui ne sait pas se contenter de peu ne sera jamais content de rien. » — Epicure

Certes. Mais… La première partie de la phrase (se contenter de peu) a semble t-il souvent tendance à phagocyter la seconde (être content) grâce à laquelle pourtant cette citation prend tout son sens pour illustrer la notion de Samtosha dont il est question en Yoga.

Le « lâcher-prise » est actuellement on ne peut plus « à la mode » et ce, à l’encontre de l’action et du « contrôle » qui représenterait une sorte de grand méchant contre lequel lutter ou de vilain poison dont il faudrait se purifier, alors qu’il n’est en rien question de faire dominer l’un sur l’autre, mais plutôt de trouver l’équilibre entre les deux : Abhyāsa Vairāgya (1).

Il est ainsi courant de voir interprétée la citation ci-dessus avec une forme de déterminisme réducteur du style : « Laissons donc faire l’Univers qui oeuvrera comme un chef pendant que l’on pourra se reposer, évitant donc de contrecarrer les plans divins », ce qui justifierait alors une forme de démission de sa propre existence parce que prendre la responsabilité de sa propre vie ce n’est tout de même pas rien, ça peut même être drôlement angoissant ! (on y reviendra plus bas avec la notion de choix)

Pour autant, le Contentement ne revient certainement pas en une sorte de résignation positive qui constituerait en fait dès lors un frein à toute action et à toute évolution.

D’ailleurs, l’aphorisme qui parle de Samtosha n’est pas dans le deuxième livre des Yoga-Sutra (« Kriya Yoga » : Yoga de l’Action) pour rien ! Il s’agit bien d’une posture – eh oui ! Les postures ce ne sont pas que les acrobaties sur un tapis, c’est aussi avant tout une attitude dans la vie – il s’agit bien, disais-je, d’une posture pleinement active et non pas passive comme aurait pu le laisser présager l’interprétation un peu facile et néanmoins courante évoquée plus haut. On pourrait même souligner que, dans les Niyama (discipline morale), « Samtosha » précède à juste titre « Tapas », le feu créateur, l’ardeur de notre investissement spirituel se traduisant par la pratique ; si ça c’est pas l’Action dans toute sa splendeur !

Le Contentement n’est donc pas – on l’a vu – une forme de passivité dans laquelle on se laisserait toujours benoîtement traversé par tout sans jamais décider de rien.

Le Contentement est au contraire une décision. La décision de – quoi qu’il arrive, quoi que l’on vive – nous réjouir de ce qui est.

À ce propos, me vient à l’esprit une anecdote. Il y a plusieurs années, alors que mon professeur m’ajustait dans une posture (Marichyâsana D) qui m’était clairement laborieuse à cause du demi-lotus, je me suis mise à éclater de rire, ce qui rendit d’ailleurs l’ajustement de plus en plus compliqué et ce qui le surprit beaucoup venant de ma part étant donné ma tendance habituelle à être très contrariée lorsque ça ne va pas comme je veux.
Mais à ce moment là, j’ai compris par moi-même quelque chose d’essentiel : nous connaissons parfois (voire souvent) des situations difficiles ou désagréables, mais râler, ruminer ou nous acharner ne les rendront jamais plus faciles ou agréables à traverser, alors autant en rire, en sourire ou tout au moins les accepter.
Voilà le contentement. (Ce qui ne veut néanmoins pas dire que depuis cette prise de conscience, je traverse tous les événements les plus éprouvants dans l’allégresse, loin s’en faut).

Le contentement est ainsi avant tout un état d’esprit qui s’incarne dans les faits et qui permet de pouvoir aborder tout ce qui est avec davantage d’ouverture et de légèreté.

Voyons ce que cela donne, donc, dans les faits…

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Dans la posture du Contentement, il n’est ni mauvais choix, ni mauvais chemin, juste le Chemin.

Comme exprimé plus tôt, le Contentement ne revient pas à une forme de démission qui nous amènerait à renoncer à toute décision pour plutôt se contenter de ce qui tombe ou non du ciel sans plus nous investir de quelque façon que ce soit.

Être vivant nous confronte à devoir faire de nombreux choix de vie, plus ou moins difficiles. Et le Contentement nous est alors d’un précieux soutien pour les aborder lorsque la peur, le doute et, a posteriori le regret viennent à nous figer, nous freiner ou nous hanter.

En réalité, il n’y a jamais d’erreur, de mauvais choix ou de mauvais chemin, pas plus qu’il y en aurait de meilleur d’ailleurs.
Lorsque le choix s’offre à nous – et il s’offre bien plus souvent qu’on le croit ! – quelle que soit la voie sur laquelle nous décidons de nous engager, elle nous sera de toute façon toujours profitable : elle nous enrichira assurément de l’expérience qui va nous amener à rencontrer et explorer un peu mieux encore tous les passionnants mystères blottis au creux de celui ou de celle que nous sommes.
Mais cela va encore plus loin car nous avons en fait précisément besoin de cette expérience, quelle qu’elle soit, pour justement évoluer et devenir ce que nous sommes déjà. 🙂

Toutefois, souvent nous préférons penser à la voie que nous n’avons pas choisi plutôt qu’à celle que nous avons choisi. C’est l’antithèse du Contentement en quelque sorte.
Et c’est en fait là où nous passons à côté de nous-même.
Nous choisissons quelque chose, ce qui devrait revenir à renoncer à d’autres choses, mais en réalité nous n’arrivons en fait pas à nous ôter de la tête ce à quoi, dès lors, nous avons renoncé : « Qu’est ce qui se serait passé si… ? »
Cela fait qu’au fond nous ne choisissons pas vraiment, pas complètement, pas totalement, de tout notre être, puisque nous restons encore malgré nous engagés émotionnellement avec ce que nous n’avons pas choisi.
Et au lieu de profiter pleinement de l’expérience enrichissante liée à ce que nous avons choisi, nous consacrons une grande part de notre énergie à regretter l’autre choix en nous répétant sans cesse ô combien nous sommes appauvris de ce que nous n’avons pas choisi.

Le Contentement, la gratitude et la joie pour ce que nous avons, mais aussi et surtout pour ce que nous sommes, ne nous sont la plupart du temps pas naturels. Notre tendance spontanée va plutôt à l’insatisfaction, la lamentation et le regret pour ce que nous n’avons pas (ou plus) et pour ce que nous ne sommes pas (ou plus).
Et en fait, tant que nous nous laissons être accaparés par ce qui n’existe pas (ou plus), nous ne pouvons profiter de ce qui existe.
C’est une double peine que nous nous infligeons. On pleure à la fois le deuil de ce qui n’est pas (ou de ce qui n’est plus). Et en plus de cela, on se prive de ce qui pourtant est là ; alors que c’est là – pour nous, devant nous, en nous – nous ne le voyons pas, nous ne l’entendons pas, nous ne le touchons pas, nous n’en jouissons pas (2).
Quand bien même nous l’aurions nous-même choisi en toute conscience, considérant que c’est ce qui est le mieux pour nous, nous restons cependant attachés à ce à quoi nous avons renoncé pour épouser ce choix.
Notre attention reste encore captivée par ce qui est absent alors que ce qui est présent n’attend rien d’autre que notre regard et notre écoute pour révéler en nous tous les trésors que cela a à nous offrir.

En (re)devenant présent à ce qui est présent à nous et en nous, c’est ainsi que nous pouvons faire cette expérience en elle-même transcendante du Contentement non pas dans le sens de se satisfaire de peu (cf. l’interprétation de la citation d’Epicure au début de ce texte), mais bien au contraire de se satisfaire de tout, de tout ce qui est là et qui nous tend les bras ; Ouvrir les yeux, les oreilles et le coeur pour accueillir ce qui est présent plutôt que de laisser sans cesse notre attention être absorbée par ce qui est absent.

L’herbe n’est plus verte que là où notre désir la fantasme ainsi.
Apprendre à désirer ce qui est là pour nous, ce que nous avons et ce que nous sommes déjà – ce Contentement plongeant ses racines dans le Présent – voilà un des secrets de la Félicité probablement.

***

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संतोषातनुत्तमस्सुखलाभः
saṁtoṣāt-anuttamas-sukhalābhaḥ
Yoga-Sutra II.42

Le contentement est le bonheur d’accueillir chaque instant ordinaire comme un présent d’exception

Vis l’éternité de chaque instant comme un présent, comme un cadeau qu’il te serait interdit de refuser ou de gâcher.

Si tu ne te donnes pas dès maintenant le droit d’être vivant, tu te prives de ton présent.
Pas encore né, et pourtant déjà mort.

Honore alors l’ordinaire de tout instant comme un présent d’exception à l’intention de tout ton être.
Déjà né, mais pas encore mort.

Un présent de choix taillé sur mesure à la hauteur de la noblesse de ta stature.
Un présent cousu à même ta peau comme un tissu qui te découvre plutôt que te recouvre.
Un présent tellement transparent qu’il te rend totalement nu en dedans.
Nouveau-né à l’âme en costume d’Eve ou d’Adam.

Offre-toi et reçois-toi tout entier.
Présent.
Vivant.
Dès maintenant.

Entre ce que tu as été et ce que tu seras, il y a l’exceptionnel ordinaire de tout ce que tu es à cet instant.

Là est le Contentement.


(1) Yoga-Sutra I.12 : अभ्यासवैराग्याअभ्यां तन्निरोधः / abhyāsa-vairāgya-ābhyāṁ tan-nirodhaḥ – Dans le juste équilibre application-abandon,lorsqu’il n’existe plus ni rigueur ni langueur, ni bien ni mal, ni blanc ni noir, ni qualité ni défaut, ni lumière ni ténèbre, ni dieu ni démon, ni nectar ni poison, par la libération du joug de son ego et de l’ignorance dans laquelle celui-ci le maintient, le pratiquant entre alors dans la Félicité, au-delà de l’illusion de toute dualité.

(2) Un citation, en plus de parfaitement illustrer la notion d’Amour inconditionnel, éclaire très bien cette notion de ne pas profiter de ce qui est pourtant là devant nous et pour nous : « Ton amour pour elle, il est à toi. Il t’appartient. Même si elle le refuse, elle ne peut rien y changer. Elle n’en profite pas, c’est tout. Ce que tu donnes, Momo, c’est à toi pour toujours ; ce que tu gardes, c’est perdu à jamais ! », Monsieur Ibrahim et les fleurs du Coran, Eric-Emmanuel Schmitt


Photo : Renard(e) en Adho-mukha svanāsana illustrant le Contentement (Samtosha) et la Félicité (Ananda) quand bien même l’herbe ne semble pourtant pas assez verte, Roeselien Raimond

Photo : Ecureuil suivant son chemin, Lakshmipuram, Mysore, Karnataka, Inde (janvier 2017)

Photo : Le Contentement extraordinaire dans l’assise ordinaire, Haridwar, Uttarakhand, Inde (mars 2014)


2 réflexions sur “Samtosha, le choix du Contentement

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