
Est-ce que les grand.e.s musicien.ne.s / peintres / athlètes / philosophes / monastiques (liste non exhaustive) s’enquiquinent (à s’en rendre quasi malades d’agacement) à rabâcher en long, en large et en travers que « la vraie » musique se joue « comme ça », que « la vraie » peinture se peint « comme ça », que « le vrai » sport se pratique « comme ça », que « la vraie » sagesse se pense « comme ça », que « la vraie » prière se vit « comme ça », etcetera ? Que monsieur Kastaniète ou que madame Sohouate fait ou dit n’importe quoi et salit ainsi l’art, la disciple, Dieu et toutes celles et ceux qui s’en revendiquent et savent vraiment, eux ?
C’est une vraie question qui me taraude souvent, et même de plus en plus ces derniers mois.
C’est quoi le problème avec le yoga ? (sous-entendu le milieu du yoga hein, pas le yoga en lui-même)
Pourquoi tant de celles et ceux qui s’y dédient (dont moi aussi parfois, bien que de moins en moins) semblent aussi soucieux/ses de définir, de comparer, de maugréer, de convertir à la manière dont elles et eux comprennent, interprètent, pratiquent, vivent, transmettent peut-être, une pratique qui – aux dernières nouvelles – ne leur appartient pourtant pas ? À moins que ? 🤔
Pour éviter tout écueil, je ne suis pas en train de faire là l’apologie – également courante chez une autre épaisse frange de ce milieu – du « tout se vaut », « faut pas juger », « c’est trop dans le mental tout ça » et autres incitations à la mauvaise foi, à l’hypocrisie, à la paresse intellectuelle et au nivellement par le bas (disons les choses telles qu’elles sont) sous couvert de bienveillance et de tolérance autant arrangées qu’arrangeantes.
L’esprit critique au service de la quête perpétuelle de vérité est un outil qu’il est toujours essentiel de valoriser et d’encourager. Mais : il est à apprendre à manier avec habileté et honnêteté.
Interrogeons-nous avec sincérité. (C’est juste un exercice)
Qu’est-ce qui nous dérange (insupporte) tant que ça ?
D’où vient donc ce viscéral besoin de s’indigner encore et encore sur les mêmes choses ? Est-ce vraiment pour le triomphe de la lumière sur l’ignorance, louable argument la plupart du temps servi pour prêcher en plus à des déjà-converti.e.s qui ne nous ont pas attendu pour être d’accord avec ce sur quoi on s’entend et se voit, alors que celles et ceux considéré.e.s comme sourd.e.s et aveugles étant ailleurs ou passant leur chemin ? (à ce propos, s’intéresser à cette notion de psychologie sociale : Biais de confirmation)
Plutôt qu’entretenir ce que l’on sait (ou croit savoir) déjà, plutôt que vouer un culte à tout ce qui nous évite la confrontation à nos contradictions, qu’est-ce qui nous empêche autant d’admettre que la séparation contre laquelle nous luttons (le fait que d’autres puissent vivre une autre expérience qui nous semble moins pertinente que la nôtre) c’est nous-mêmes au fond qui la créons ?
Car n’y a-t-il pas une sorte de déséquilibre dans cette urgence à éclairer les pauvres ignorant.e.s qui n’auraient quant à elles/eux rien à nous apprendre ?
Quel attachement, quelle insécurité nous amènent à cultiver une telle forme de contrôle dans laquelle nous nous rendons indisponibles à vivre une forme de réceptivité envers ce dont nous ne nous attendons pas et ne nous offrons pas de nous enrichir ?
Je l’exprime ainsi car, pour ma part, j’ai pu parfois tenir (et il m’arrive encore de le faire mais de plus en plus rarement) une posture d’assurance apparente (haha apparente seulement hein 😅) quant à ce que je sais (croyais savoir) du yoga.
Mais cela fait quelques années maintenant que je vois clair quant au fait que cette posture était surtout basée sur la crainte d’être avalée par l’ampleur de ce que je ne connais pas, de tout ce qui m’échappe, de tous ces mystères qui me dépassent et qui resteront quoi qu’il en soit insaisissables, ce qui ne m’ôtera néanmoins pas de l’effort et/ou de l’envie de continuer à chercher à les élucider (on ne se refait pas, du moins pas complètement 🙂), et puis parallèlement aussi la crainte de pouvoir me laisser être nourrie par un partage sincère avec l’autre fondé sur autre chose que l’élection de celle ou celui qui a la plus grosse (connaissance du sujet 😉).
Alors, sans pour autant pratiquer par-dessus la jambe, peut-on au moins apprendre à se détendre ?
Vraiment je veux dire. Je ne parle pas là de savāsana, même si cela peut être une voie bien évidemment.
Je parle d’une détente plus profonde, plus subtile encore, dans laquelle ce que l’on exprime est émis depuis un espace tranquille, qui n’a pas besoin de prouver que, de lutter contre, de convertir à ; un espace disposé aussi à accueillir de l’ouvert à l’ouvert au coeur de l’Ouvert, sans que cette ouverture non plus n’ait à être forcée d’une manière ou d’une autre, d’un côté ou de l’autre :
où se rejoint-on, où se laisse-t-on être rejoint ? Jusqu’Où ?
Sans bien entendu céder au mépris et/ou au dévoiement des bases de la discipline, de la philosophie, de l’art peut-on dire aussi sur lesquelles l’essence du yoga repose, peut-on nous rappeler, chaque fois qu’on peut avoir tendance à l’oublier, de la dimension éminemment vivante de la pratique ?
Sans pour autant sombrer dans la complaisance à l’approximation, mais sans non plus s’étriquer dans des rigidités qui tout en nous faisons croire que nous nous élevons ne font en fait que nous enterrer (et en entraînant avec nous dans cet abîme celles et ceux que nous prétendons élever).
Peut-on s’intéresser vraiment à ce qui, précisément à travers cette pratique, nous rend à même de discerner, en toutes choses, quelles sont nos réelles motivations et quelles sont nos profondes aspirations ?
Et à ajuster, d’instant en instant, ajuster.
Peut-être à pratiquer un peu moins ou un peu plus par-dessus la jambe dans les moments où notre souffrance nous domine, que cette souffrance soit matérialisée par l’enlisement dans l’inconscience ou la négligence, ou par le durcissement dans l’intransigeance et la violence.
Ajuster, d’instant en instant, ajuster.
***
Photo : Utthita hasta padangusthāsana, Isabelle Wenzel
intéressant !
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Merci pour votre lecture 🙏
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Je ne connais pas le milieu du yoga, mais je fuis naturellement les « milieux » pour embrasser le spectre du Tout en me redécouvrant de gré ou de force éternelle débutante (merci le zen qui me ramène toujours au Point).
Quelle que soit la pratique, bien sûr qu’en tant qu’humains nous passons et repassons par les pièges de la saisie voire l’appropriation (culturelle?) du sachant sachant sacher, par celui du dolorisme postural judéo chrétien, par l’étiquetage pour cause de sauvetage identitaire etc.
Je compatis car il m’est arrivé et m’arrive encore d’être hérissée par le dogmatisme, et cela bien sûr me renvoie à mes propres rigidités…
Pour moi la seule quête est celle de remonter à la source, c’est à dire de quel désir de Vie est née une pratique… me rappeler ce que nous cherchons tout en cherchant à s’en déprendre : la reliance au souffle, l’unité dans le multiple et inversement, etc. Et tout ça oui ça peut se vivre par-dessus la jambe en kiffant une posture maladroite ou aménagée.
Merci pour cet article. J’ai commencé petite le yoga, il y a 35 ans, et je me rends compte que je n’ai jamais eu d’échanges ni lu beaucoup de méta réflexions sur la pratique, ça m’aura manqué sans le savoir. Cela alimente sainement la réflexion sur ma propre démarche dans ma Voie, où je ne suis ni enseignante, ni dilettante (neti neti sur les bords). Bonne continuation ! 🙂
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Merci beaucoup Marion pour votre partage sincère, c’est bon de vous lire. Bonne continuation sur ce chemin aussi passionnant qu’infini à explorer 🙂
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Merci infiniment pour ce partage de réflexions qui remet les choses à sa place en rappelant au plus profond pourquoi je suis prof de yoga, pour accueillir l’instant présent tel qu’il est et être totalement ici et maintenant sans jugement et donner le meilleur autour de moi.
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Merci pour votre lecture Valérie, je me réjouis si mes mots ont pu trouver cette résonance en vous.
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Merci pour votre très bel article, qui amène une reflexion paisible, pausée, ouverte et bienveillante. Transposable sur bien des sujets. C’est toujours un grand plaisir de vous lire.
Laure
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