Souvent je ne crois plus au yoga

Ce titre n’est pas balancé comme ça sous forme de provocation pour inciter à cliquer, à lire, à réagir.
Ça pourrait, mais ce n’est pas le genre de la maison.
Il est venu comme cela me vient. Aussi sincère que je peux l’être.
Parce que non, le yoga n’est pas épargné par les crises de foi…
Souvent je ne crois plus au yoga.

Je le dis parce que peut-être c’est important que quelqu’un le fasse alors que l’on est en permanence envahi.e.s d’images et de mots porte-voix et porte-chair d’une pratique idyllique où tout semble si simple, facile, solide et fluide, que ce soit dans le corps, dans l’esprit et dans le cœur aussi.
Ah bon ? 🤔
Pourtant, ce qui peut peut-être être inspirant peut être aussi décourageant ou culpabilisant lorsque cela nous semble loin de nous ou que c’est nous qui semblons loin de cela.

Alors… se rappeler encore et encore qu’il y a ce qui se voit et ce qui se dit (c’est-à-dire ce qui est montré et exprimé et la façon dont on le perçoit et le reçoit) et puis… il y a le reste qui ne se voit pas et qui se tait mais qui pour autant ne signifie pas que ça n’existe pas.
Les doutes, les remises en question, l’aversion, et tout ce qui vient menacer la relation précieuse que l’on entretient avec sa pratique dans chacune de ses dimensions, posturale certes mais tout le reste aussi, oh mon dieu oui tout le reste…

Est-ce que cela signifie que ce que l’on nous montre, nous dit, nous écrit est faux ? Non, probablement pas. Mais ne pas confondre une seule facette, aussi brillante soit-elle, avec le polygone tout entier. Lorsqu’il n’y a qu’un seul croissant dans lequel le soleil vient se refléter, cela n’est pas la preuve que le reste de la lune – caché – est exclu de la réalité.

Souvent je ne crois plus au yoga.
Il arrive même des fois où je n’y crois tellement plus que je me retrouve dans la situation surréaliste – et il faut le dire drôlement inconfortable – d’être amenée à accompagner dans leur pratique des personnes qui y croient bien plus que moi et, plus fort encore, que ce sont ces personnes qui sans le savoir, juste en les guidant, me ramènent à y croire à nouveau.
Eh oui.
C’est quand même pas rien ça, faut bien le dire aussi. Même si parfois ça ne suffit pas – il ne faudrait pas non plus idéaliser, en plus de la pratique, le fait de l’enseigner – ça aussi il faut bien le dire.

Souvent je ne crois plus au yoga pour tout un tas de raisons.
Sans doute en grande partie les mêmes raisons que celles qui font que j’y crois, enfin que j’y croyais avant ça, puis ensuite que j’y re-crois.
Parce que bon sang je finis toujours par y re-croire tout compte fait.

Tout apparaît, puis disparaît, puis réapparaît. Ça tourne et se retourne sur soi-même. Et si ça revient, ça revient différent. À la fois toujours même et toujours autrement. C’est organique. C’est en mouvement. C’est simplement vivant.

Alors pourquoi les temps bénis d’épiphanies où tout communie seraient-ils meilleurs que les temps arides de déserts où ni le cœur, ni le corps, ni l’esprit n’y sont plus ?

Apprendre à habiter les deux – la légèreté et la gravité, la douceur et la torpeur, la clarté et l’obscurité, l’amour et la peur, la sérénité et l’intranquilité, la grâce et la pesanteur, etc.
À embrasser l’un et l’autre car peut-être qu’au fond l’un ne va pas sans l’autre et qu’il y a de la place pour deux et pour toutes les innombrables nuances qu’il y a entre deux.

Apprendre à se libérer de l’effet double peine du blâme qui vient punir la perte de foi comme si ça n’était pas déjà en soi assez pénible comme ça.

Apprendre à aimer ces temps de perte de foi, de perte de soi aussi parce que en fait ça fait tout simplement partie de la pratique, ça.
Aimer que ce qui est aimable et agréable, la belle affaire ! Aimer tout le reste, c’en est une autre, et pas des moindres : un sommet au cœur de l’abîme.

Parce que… une fois passée la lune de miel avec la pratique, que reste-t-il ?
N’est-ce pas là peut-être que l’on entre encore plus profondément dans ce qui – au-delà de ce que l’on en attend – nous attend nous ?
S’arrêter là ou… encore un pas peut-être… Rien n’est irréversible tant que l’on est vivant et que l’on veille à laisser ne serait-ce qu’un petit espace – un interstice – vivant à ce qui semble éteint, libre alors de s’absorber, de se déployer, de se transformer… en quoi ? Qui sait !
Pratique vivante qui nous amène là où nous sommes, à l’essence de soi que l’on croit ne pas connaître alors que l’on ne connaît rien d’autre en réalité.

Souvent je ne crois plus au yoga.
Parfois même je ne crois plus en rien, pas même en l’humain.
Et puis au plus profond du doute, dans ce qui semble au plus près de l’abandon au néant, là même où n’ayant plus rien à perdre, on peut se livrer à une absolue disponibilité, là même où même dans la fermeture, on peut pleinement vivre l’expérience d’être ouverts à l’Ouvert, sans même la convoquer, l’invoquer, ni ne serait-ce que l’évoquer, la foi revient.
Et libres, parfaitement libres, même lorsque l’on ne croit pas l’être, chevaucher chaque vague de ses va et vient.
Pratique vivante sinon rien.

***


Photo personnelle : entre la pierre qui emmure et la fenêtre qui libère


6 réflexions sur “Souvent je ne crois plus au yoga

  1. Merci pour ce partage et cette sincérité.
    Le doute est si souvent présent au fond de moi et parfois malgré moi, qu’il déstabilise plus d’une fois. Alors la vie me rappelle que rien n’est immuable et qu’on avance toujours malgré tout. Je finis par reprendre confiance graduellement parce que je pense être restée l’esprit positif et ouvert à ce que la vie me donne à vivre ( facile à dire pas toujours facile à vivre). Au gré d’une rencontre, d’un événement, je reprends confiance.
    L’étincelle de vie est toujours là.

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    1. Merci Marie-Ange pour votre témoignage. Oui, il est bon de se rappeler que même lorsque nous sommes dans la perturbation, il y a néanmoins sous la surface agitée cet espace de paix immuable où nous ressourcer. Même si effectivement comme vous le dites très bien, on a parfois beau en avoir conscience, dans certaines situations de remises en question, il n’est pas si facile de revenir à cette simplicité. Mais pourtant si l’on peut s’en déconnecter, c’est que l’on peut aussi s’y reconnecter. Garder à l’esprit la notion d’impermanence dans les deux sens : certes la sérénité peut être troublée mais le trouble peut aussi être apaisé. Et puis, aussi inconfortable puisse-t-il être, il y a aussi quelque chose de sain dans le doute pour peu que l’on reste attentif à ce qui se vit en nous, il peut nous permettre au fond de mieux nous connaître en affinant notre qualité de discernement et de présence à ce qui est juste et à ce qui a du sens pour nous.
      Bon cheminement à vous Marie-Ange ! 🙇‍♀️

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  2. Chère Marie ,
    C est normal de ne plus croire au yoga quand on a en fait son activité principale depuis longtemps et qu on en vit si c est ton cas, car on passe son temps souvent à affirmer ce que le yoga est, quelquefois pour convaincre ou emporté par nos paroles quand on sait bien qu il s agit avant tout d un champ d expérimentation et que ce qu on ne peut dire il faut le taire … la friche est aussi nécessaire…
    Bien amicalement,
    Valérie

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    1. Bonjour Valérie
      Probablement que la remise en question de « quelque chose » est en effet proportionnelle à la place que cette « chose » occupe dans notre vie, oui. Je crois aussi que c’est ce qui nous permet de régulièrement opérer d’éventuels ajustements de nos positionnements par rapport à cela lorsqu’ils s’avèrent nécessaires. Nous sommes matière vivante et donc changeante et c’est cela aussi qui fait la richesse de l’expérience du yoga que l’on peut vivre je crois.
      Le meilleur à vous sur ce chemin ! 😊

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  3. Merci pour votre partage, vos articles sont toujours très inspirants, riches de réflexions, profonds et authentiques. Je trouve celui-ci particulièrement touchant et je crois que chacun y est par moments « confronté » et il est bien rare que des enseignants de yoga osent lever ces voiles. L expérimentation que tout bouge et tout change, si simple en théorie mais qui demande beaucoup de travail pour l accepter dans sa pratique, dans sa réalité. Merci beaucoup, je vous souhaite une très belle journée 🙏

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    1. Bonjour, je vois seulement maintenant votre commentaire pour lequel je vous remercie. Oui, je pense que c’est important de parler parfois de ce dont on ne parle pas, ne serait-ce que pour se sentir plus en concordance entre ce qui se voit de soi (car parfois les gens peuvent idéaliser à partir de ce qu’ils voient) et entre la réalité plus nuancée, plus complexe et donc plus intéressante aussi à expérimenter de ce qui se vit en soi. Et puis si cela peut permettre aussi à d’autres personnes de peut-être se reconnaître dans ce qui est partagé et ainsi ressentir davantage de légitimité à ressentir ce qu’ils ressentent aussi, alors c’est une fenêtre ouverte 🙂 Merci à vous pour vos mots 🙏

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